On s’y attendait un peu. Est-ce que Bazoum, qui était jusqu’à présent à la tête du Niger, sera emporté à son tour par l’effet domino ?
Après Bamako, Conakry et Ouagadougou, c’est à Niamey que « la grande muette » vient de donner de la voix. Sur un fond de bruit de brodequins. Et rien ne laisse présager que la série s’arrêtera là. On pourrait même s’amuser à deviner la suite, bien qu’il soit encore difficile, pour le moment, de prédire qui sera le prochain. À moins que…
D’aucuns qui prétendent en connaître un rayon, ces fameux « spécialistes » de l’Afrique, estiment qu’un coup d’État peut être considéré comme réussi s’il va au-delà des sept jours, quand d’autres avancent le délai d’un mois
Quoi qu’il en soit, ce qui tend à devenir une épidémie dans cette partie de l’Afrique est aujourd’hui une véritable source d’inquiétude.
Pas seulement dans les palais présidentiels, où l’adrénaline doit atteindre des niveaux stratosphériques par les temps qui courent. Mais aussi et surtout en Occident. Notamment à l’Élysée, où un « conseil de défense et de sécurité » a été tenu en urgence sur le sujet. Comme quoi, ce qui se déroule au Niger concerne au plus haut point l’Hexagone.
Il est vrai qu’il y a de quoi se triturer les méninges sous le bonnet phrygien de Marianne. La France, qui entretient des relations exécrables avec la junte malienne, n’est pas non plus en odeur de sainteté au Burkina Faso. Avec la chute de Bazoum, elle perdrait un allié de poids (si ce n’est le seul) dans cette zone-ci d’un Sahel infesté de terroristes qui ne lui veulent pas que du bien.
Est-ce que la Force Barkhane sera chassée, comme elle l’a été à Bamako et à Ouagadougou ? Le contrat d’exploitation des immenses gisements d’uranium par la société ORANO (anciennement AREVA) est-il compromis dans ce pays qui en est le quatrième producteur mondial ? Les nouvelles autorités tourneront-elles le dos à l’ancienne puissance coloniale pour se jeter dans les bras de l’ours russe ?
Macron a, d’ores et déjà, fermé les robinets de l’aide au développement et des appuis budgétaires.
Autres temps autres mœurs : il est hors de question que la Légion étrangère saute sur Niamey, comme elle l’a fait par le passé à Kolwezi pour voler au secours du dictateur Mobutu. Encore que rien du genre n’est à exclure, si Paris estime que la sécurité de ses ressortissants est menacée. Avec la présence des soldats de Barkhane sur les lieux, la tentation de leur offrir une occasion de se dégourdir serait grande.
Pour l’heure, ce sont plutôt certains présidents de la CEDEAO qui préconisent une option militaire afin de sortir leur camarade Bazoum du pétrin. En plus d’une panoplie de sanctions particulièrement sévères, qui ne devraient rien à voir avec celles qui se sont révélées inefficaces, ou qui n’ont tout simplement pas été appliquées dans les cas du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée.
La menace d’user de la force relèverait-elle du bluff, ou d’une réelle volonté de rééditer l’aventure de l’ECOMOG (force ouest-africaine) au Libéria en 1990 ? Même avec le Nigeria comme fer de lance, première puissance militaire de la CEDEAO (4e sur le continent derrière l’Égypte, l’Algérie et l’Afrique du Sud)*, une telle opération, si jamais elle était lancée, serait tout sauf une partie de plaisir. Sans oublier les éventuelles victimes collatérales et une possible implication (même indirecte) de certains alliés « naturels » des putschistes. On pourrait y ajouter l’hostilité d’une grande partie de la population envers la CEDEAO, dont les prises de position sont perçues comme dictées par le président Macron.
Un beau chaos en perspective, aurait-on pu s’exclamer, si ce n’était pas le côté dramatique que cela pourrait revêtir ! Les différents groupes djihadistes ne pouvaient rêver mieux et doivent se frotter déjà les mains.
Alors qu’un ultimatum d’une semaine a été donné au général Abderahmane Tchiani et à ses camarades pour remettre en selle l’ancien président, de nombreuses questions se posent.
Pourquoi les réactions du président français et de certains chefs d’État de l’organisation régionale sont-elles si variables ? Pourquoi ne pas loger tous les putschistes à la même enseigne ? Est-ce que l’attitude questionnable du président Macron ne donnera pas plutôt du grain à moudre à ceux qui attisent le sentiment anti-français ?
Pendant que les jours s’égrènent et que l’incertitude règne plus que jamais à Niamey, l’on se doit de reconnaître, malheureusement pour les émules nigériens ‘de Goïta, Doumbouya et Traoré, que celui-là apparaît vraiment comme le coup d’Etat de trop. S’il passe, c’est la CEDEAO elle-même qui risque de trépasser, et l’ensemble de la région de se retrouver dans une spirale d’instabilité et d’insécurité aux conséquences imprévisibles.
Dans ce jeu complexe qui ressemble à une partie de poker menteur, la France mise gros. Confronté à des choix délicats, le coq gaulois risque d’y perdre encore des plumes en termes d’image. Au moment où certains observateurs croient assister à une compétition entre Français et Russes sur le continent.
Même s’il n’a pas grand-chose à voir avec l’intrigue qui se noue au Niger, Poutine aimerait bien peut-être adresser au patron de l’Élysée ses bons baisers de Russie.
Avec un mystérieux petit sourire en coin que n’aurait certainement pas renié Raspoutine en personne.
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