[dropcap]L[/dropcap]’ex-président tchadien Hissène Habré, en détention préventive au Sénégal où il s’était réfugié après sa chute en 1990, sera jugé par un tribunal spécial pour crime contre l’humanité et crimes de guerre, une décision saluée vendredi par ses victimes.
Ce tribunal spécial, créé par le Sénégal et l’Union africaine (UA) pour juger M. Habré, a rendu vendredi une ordonnance qui « renvoie l’inculpé Hissène Habré » devant une cour d’assises spéciale « pour y être jugé pour crime contre l’humanité, crimes de guerre et crime de torture », a affirmé cette juridiction dans un communiqué transmis à l’AFP.
L’ex-président tchadien avait été arrêté le 30 juin 2013 à Dakar puis inculpé le 2 juillet 2013 par le tribunal spécial et placé en détention préventive. La date de son procès n’a pas été précisée. Mais pour l’organisation de défense de droits de l’Homme Human Rights Watch (HRW), le procès de l’ex-président tchadien « devrait commencer en mai ou juin au Sénégal », selon un communiqué transmis vendredi à l’AFP.
Le tribunal spécial a suivi le réquisitoire du parquet spécial qui avait demandé le 5 février un renvoi de M. Habré devant une cour d’assises, pour qu’il y soit jugé des mêmes chefs d’accusation.
Bienveillance des autorités sénégalaises
Hissène Habré, né en 1942, a été au pouvoir de 1982 jusqu’à son renversement en 1990 par l’actuel chef de l’Etat Idriss Déby Itno. Il s’était ensuite réfugié au Sénégal, où il bénéficia pendant plus de 20 ans de la bienveillance des autorités sénégalaises avant d’être finalement arrêté.
Lors de son arrivée au Sénégal en 1990, les autorités tchadiennes avaient exigé l’extradition de l’ancien dictateur. Mais le président sénégalais, Abdou Diouf, avait refusé. Quelques années plus tard, c’est la Belgique qui avait réclamé l’extradition d’Hissène Habré vers Bruxelles. Mais Dakar avait de nouveau rejeté cette demande, cette fois pour vice de forme.
De nombreux Sénégalais s’opposent eux aussi à l’extradition, et même au jugement d’Hissène Habré, apprécié pour ses largesses envers la communauté locale et dont une des épouses est de nationalité sénégalaise. Hissène Habré est accusé, selon HRW, de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture pendant son régime.
Le Sénégal avait finalement accepté en 2006 de juger l’ancien chef d’Etat à la demande de l’Union africaine. Dakar avait ensuite procédé à une modification de ses textes pour avoir la possibilité de juger un étranger dont les actes ont été commis en dehors de son territoire.Le Sénégal est avec l’Afrique du Sud l’un des deux seuls pays africains à disposer d’une telle législation, selon des juristes.
Une « immense victoire »
Dakar et l’UA ont signé en décembre 2012 un accord validant la création au sein des juridictions sénégalaises de « chambres africaines extraordinaires », compétentes pour juger Hissène Habré. Puis, en mai 2013, Tchad et Sénégal ont signé un nouvel accord autorisant ces magistrats, sénégalais et africains, à mener des enquêtes au Tchad.
L’arrestation de l’ex-président tchadien a été saluée vendredi par les défenseurs de ses victimes présumées. « Après avoir enduré tant de souffrances, les victimes de Habré se rapprochent de plus en plus de la justice pour laquelle elles se battent depuis tant d’années », a exulté Jacqueline Moudeïna, avocate principale des victimes et présidente de l’Association Tchadienne pour la Promotion et les Défense des Droits de l’Homme (ATPDH), citée dans le communiqué de HRW. Selon elle, « traduire Hissène Habré devant une juridiction est une immense victoire pour la justice ».
« Cela fait plus de deux décennies que j’attends de voir Hissène Habré traduit en justice », a de son côté déclaré Clément Abaïfouta, président de l’Association des Victimes des Crimes du Régime de Hissène Habré. En juillet 2013, plus de mille personnes, se considérant comme « victimes directes et indirectes » du régime de Hissène Habré, se sont constituées parties civiles contre lui.
L’organisation du procès de l’ex-président tchadien, longtemps bloquée pendant les années de pouvoir du président Abdoulaye Wade (2000-2012) a été accélérée après l’élection en mars 2012 de Macky Sall.
AFP