Niger : Un risque d’internationalisation de la crise (Par Oumar Kateb Yacine de l’Institut Afrique Émergente)
La crise nigérienne due au putsch militaire qui a déposé Mohamed Bazoum, président démocratiquement élu, le 26 juillet s’enlise davantage et risque si, on ne prend pas garde, de prendre une dimension sous-régionale à une catastrophe humanitaire sans précédent et à des lourdes conséquences sur le plan politique, économique et social. Et pour cause?
L’Occident ne veut pas lâcher prise
Les puissances occidentales surprises apparemment par ce coup de force, tapies derrière la CEDEAO (Conseil économique des États de l’Afrique de l’Ouest) chercheraient par des voies détournées à déloger le Général Abdourahmane Tchiani, le nouvel homme fort du Niger, et rétablir dans ses fonctions le président déchu. A leur tête la France disposant d’un contingent, environ de 2000 hommes dont des éléments des forces spéciales, répartis entre des bases militaires à Niamey et à l’intérieur du pays.
Les États-Unis ne sont pas à la traîne dans cette optique de faire usage à la force pour ramener l’ordre constitutionnel dans ce pays sahélien, l’un des plus pauvres du monde, mais hautement stratégique pour la lutte contre le terrorisme djihadiste et la guerre de positionnement entre les puissances (Occident contre le duo Russie-Chine) sur le sol africain.
Nul n’a besoin de prouver l’importance pour ces puissances de s’installer et demeurer au Niger autant que durera le terrorisme au Sahel. A en juger la puissance d’armement que les Américains et les Français disposent dans ce pays depuis la disparition d’Idriss Déby Itno au Tchad et le retrait des forces françaises du Mali. D’ailleurs Bazoum s’était substitué au dirigeant tchadien, tué au front le 20 avril 2021, en partenaire idéal pour Paris et Washington et rempart pour contrecarrer la Russie et sa force paramilitaire qu’est Wagner, présente au Mali et au Burkina Faso.
Déjà, le chef de la diplomatie américaine Antony Binken a assuré Mohamed Bazoum de l’« indéfectible soutien des États-Unis avant de préciser que le coup d’État du 26 juillet mettait en péril « des centaines de millions de dollars d’aide ».
Le dilemme américain
L’embarras des Américains est comment faire pour éviter que le Niger tombe dans les mains des djihadistes ou les Russes. Partir serait synonyme de tout abandonner après avoir beaucoup investi. La base de surveillance équipées de drones que disposent les Américains joue un rôle très important en matière de surveillance dans la région.
Maintenant la question cruciale pour les États-Unis est de savoir est-ce qu’il faut rester au pays étant donné que leur législation interdit de coopérer avec tout gouvernement militaire, donc jugé « illégitime et illégal ». Ce qui revient à dire qu’à défaut d’un retour rapide du Niger à l’ordre constitutionnel, autrement dit la restauration du pouvoir de Bazoum, Washington prendrait son temps pour observer l’évolution de la situation. Sa présence dans la région est une position dissuasive à l’encontre des djihadistes et des Russes.
La France veut laver l’affront…
Quant à la France, sa position est plus inconfortable. A la manifestation des milliers des personnes soutenant le CNSP (Conseil national pour la sauvegarde de la patrie), l’organe dirigeant de la junte, devant son ambassade le dimanche dernier, Paris a essuyé le pire des affronts ces derniers temps dans son pré carré au Sud du Sahara. L’enseigne de son ambassade arrachée, son tricolore descendu et brûlé par des manifestants brandissant le drapeau russe.
Ce qui était une crise interne est entrain de s’internationaliser. Élysée bombe le torse et affirme qu’il ne tolérera aucune violence contre les ressortissants français que Paris commence à faire évacuer depuis ce mardi 1er août 2023 après avoir eu l’accord des nouvelles autorités militaires du Niger.
On assiste maintenant à des joutes verbales entre la France et la junte. Celle-ci multiplie les accusations contre l’ancienne puissance coloniale de vouloir attaquer le palais présidentiel pour délivrer le président déchu. Pour étayer ses allégations le CNSP a transmis à l’AFP un document signé par le ministre des Affaires étrangères du gouvernement déchu et le patron de la garde nationale qui donne un quitus à la France d’intervenir militairement pour libérer Mohamed Bazoum, toujours isolé à sa résidence présidentielle.
Une accusation réfutée par le Quai d’Orsay qui argue que le seul souci de la France est la sécurité de ses ressortissants et de leurs biens au Niger.
La CEDEAO constitue le rempart
La menace réelle contre les putschistes nigériens vient d’Abuja où les chefs d’Etat de la CEDEAO se sont réunis en sommet extraordinaire le dimanche 30 juillet sous l’égide du Nigérian, Bola Tinubu président en exercice de l’institution sous-régionale. A l’issue de ce sommet, ils ont décidé de « suspendre toutes les transactions commerciales et financières » entre ses États membres et le Niger, et de geler les avoirs des responsables militaires impliqués dans le coup d’État. Ils ont fixé un ultimatum d’une semaine à la junte militaire pour un « retour complet à l’ordre constitutionnel faute de quoi, ils n’excluent pas le recours à la force ».
Au lendemain, le Mali et le Burkina Faso, dirigés par des juntes militaires, dans un communiqué conjoint se disent solidaires au « peuple frère » du Niger et «avertissent que toute intervention militaire contre le Niger serait considérée comme une déclaration de guerre contre le Burkina Faso et le Mali ».
Ces deux pays, aujourd’hui en parfaite harmonie avec la Russie, « préviennent que toute intervention militaire contre le Niger entraînerait un retrait du Burkina Faso et du Mali de la CEDEAO , ainsi que l’adoption de mesures de légitime défense en soutien aux forces armées et au peuple du Niger ».
La junte guinéenne, quant à elle, ne reste pas à la marge. Puis que le CNRD (Comité national du rassemblement pour le développement), dans un communiqué diffusé mardi soir, a « exprimé son désaccord concernant les sanctions préconisées par la CEDEAO, y compris une intervention militaire ». Tout en soulignant l’esprit « panafricaniste » de la Guinée, le CNRD « a décidé de ne pas appliquer ces sanctions qu’il considère illégitimes et inhumaines » avant d’enjoindre l’instance sous-régionale à reconsidérer sa position pour revenir à des meilleurs sentiments.
La CEDEAO joue sa crédibilité
La CEDEAO met sa crédibilité en jeu. Dans sa position actuelle, elle décide d’en découdre avec les putschistes du Niger après l’échec de la médiation du chef de junte tchadienne, Général Mahamat Déby, qui a pris part au sommet d’Abuja avant de se rendre à Niamey où il a rencontré Mohamed Bazoum et son tombeur qui reste infléchi dans sa position.
Pour réussir son pari de déloger la junte nigérienne, Abuja va réunir dans les prochains jours des chefs d’état major de la CEDEAO moins ceux de quatre pays (Guinée, Mali, Burkina et Niger).
Déjà le Nigeria qui partage 1500 km des frontières avec le Niger annonce qu’il fournira des militaires à la future force de coalition. Les autres pays membres, à des proportions différentes, en feront autant.
Mais rien ne présage la réussite d’une telle opération. Même si les forces occidentales pour le moment restent en place, et de facto, elles fourniraient logistiques et informations aux contingents ouest-africains, le fait que le Mali et le Burkina s’engagent à combattre du côté des putschistes nigériens, la tache sera ardue et la crise va s’intensifier dans la région, étant donné que tous ces pays sont déjà en pleine guerre contre le terrorisme. Tandis que le Nigeria même qui n’est pas venu à bout de la nébuleuse Boko Haram traverse une grave crise économique et sociale . Aussi, le Wagner dont le chef Evguéni Prigojine a apprécié le coup d’Etat contre Bazoum qu’il considère comme « une étape décisive de la lutte des peuples africains pour se libérer de l’emprise de l’impérialisme international », pourrait avoir une occasion de s’installer dans ces trois pays. Et ce n’est pas la bénédiction de Moscou qui manquera même si Kremlin demande à toutes les parties nigériennes à « la retenue et au retour à la légalité ». Car, on se rappelle, après le coup de Prigojine le 24 juin dernier, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov avait clairement indiqué que le Wagner continuera sa présence en Afrique.
Vladimir Poutine dont la velléité de reconquérir la position qu’occupait l’Union Soviétique en Afrique pendant la guerre froide et même aller au delà ne fait l’objet d’aucun doute, s’appuie aujourd’hui non seulement sur les éléments de Wagner mais aussi sur plusieurs autres canaux de séduction et de propagande ( Mais cela est un autre débat) afin de manipuler l’opinion, déjà, déçue de la politique africaine de la France. D’où la montée en puissance des sentiments anti-français des peuples africains.
Un autre facteur plus aggravant est la position que vont adopter les peuples de ces pays qui considéreront ce recours à la force comme une agression extérieure à la solde de l’Occident. Ceux-ci pourraient s’offrir à la résistance contre « l’ennemi extérieur ». Ceci va exacerber la haine contre ces puissances occidentales et donner un libre champ à la Russie d’installer voire de propager ses tentacules dans la région, et pendant ces temps, les groupements djihadistes ne manqueront pas d’atouts de se faire entendre par des populations croupissant dans la misère que va accentuer à cette occasion une crise humanitaire sans précédent.
Pour quelle raison le Mali et le Burkina soutiennent le Niger?
Les juntes de ces deux pays sont convaincues qu’une opération militaire réussie d’où qu’elle vienne contre celle du Niger, entraînerait de facto leur déchéance respective. Au cas où elles n’arrivent pas à rendre le pouvoir aux civiles selon le chronogramme établi, la CEDEAO pourrait « recourir à la force » pour déloger ces juntes à défaut de les contraindre à respecter leur engagement. C’est dire que derrière cette solidarité africaine au peuple nigérien se cache une occasion de se prémunir de tout effet de surprise désagréable de la part des putschistes de Bamako et de Ouagadougou.
Quant à Conakry..
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Le CNRD, dans son communiqué, a adopté la mesure de prudence. D’un côté pour ne pas se démarquer de trois juntes, il se dit « solidaire aux frères nigériens », condamne les sanctions de la CEDEAO contre le Niger que la Guinée ne compte pas appliquer . Mais, le gouvernement de Conakry s’abstient de faire un communiqué conjoint avec le Mali et le Burkina, certes pour ne pas vexer Paris dont le soutien à la transition que dirige Colonel Mamadi Doumbouya brille à mille feux.
La démarche de Conakry est à la fois stratégique et économique. Le non-respect des sanctions commerciales infligées au Niger, un pays continental, pourrait être un pain béni pour le port de Conakry où des marchandises destinées à Niamey pourraient être débarquées puis acheminées par la route. Le Bénin a fermé ses frontières avec le Niger. L’essentiel des importations de ce pays transitent par le port de Cotonou, situé à 1500 km de la capitale nigérienne. Un marché que pourrait capter le port autonome de Conakry en pleine mutation.
Quelle proposition de sortie de crise?
L’intervention militaire au Niger peut se révéler catastrophique. Comme l’avait préconisé le président béninois, Patrick Talon, avant le sommet d’Abuja, il serait plus judicieux de privilégier le dialogue. D’abord, chercher à obtenir la libération du président Bazoum et ses hommes en détention. Sa présence en tant que détenu au Palais présidentiel ne facilite pas le succès d’une opération commando, sa vie et celle de sa famille, seraient en danger.
A notre humble avis, il serait plus sage et plus judicieux d’offrir une porte de sortie au Général Tchiani et ses hommes afin de les convaincre de rejoindre les casernes voire un chemin de l’exil avec protection et que ce dernier l’accepte pour, éventuellement ne pas connaître le triste sort du Général burkinabè Gilbert Djendéré.
On l’a fait pour Blaise Compaoré en 2014 alors que les crimes de son régime au Burkina Faso sont plus graves. Pourquoi ne pas le faire pour Abdourahmane Tchiani et sa bande qui ont pris le pouvoir sans effusion de sang. Déjà le président déchu reste retenu dans sa résidence et garde via ses téléphones tous ses contacts à l’extérieur. Ce qui lui permet d’ailleurs de maintenir ses réseaux et nourrir l’ambition de récupérer son fauteuil, situé à quelques mètres de lui.
En tout cas, la paix n’a pas de prix dit-on.
Oumar Kateb Yacine
Président du think tank panafricaniste-progressiste
Institut Afrique Emergente
Courriel: yacinebah@gmail.com