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La musique mandingue, un ciment culturel.

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Le Mali et la Guinée ont donné au monde quelques-uns des artistes africains les plus en vue, dans un registre aux couleurs musicales et vocales spécifiques, celles de la culture mandingue aux racines plus que millénaires. Septième volet de la série consacrée aux grands courants musicaux d’Afrique sur RFI Musique.

Sur une face entière du 33 tours, puis sur l’autre jusqu’au dernier sillon, tout au long d’une seule et même pièce musicale de 28 minutes, Mory Kanté livre un récit tantôt chanté tantôt parlé. Soundiata, conte l’exil du « grand Africain qui fut jadis le fondateur et le souverain de l’empire du Manding » (sic), peut-on lire au verso de la pochette du vinyle enregistré par le Rail Band à la suite de sa tournée au Nigéria en 1975.

Ce disque appartenant à une série baptisée « folk-rail »– et qui précise que l’orchestre se produit « tous les samedis à 21h30 au jardin du Buffet-Gare » à Bamako – rappelle la dimension à la fois culturelle et historique que peut jouer la musique dans cette région d’Afrique de l’Ouest. Cinq ans plus tôt, alors qu’il faisait ses débuts avec le même groupe, Salif Keita avait, lui aussi, rendu hommage au glorieux monarque et lointain aïeul.

Huit siècles après l’épopée de Soundiata Keita (aussi orthographié Sundjata ou Sundiata), l’influence laissée par ce personnage majeur s’étend sur un vaste territoire qui se moque des frontières politiques héritées de la (dé)colonisation. Si le centre de gravité de l’aire mandingue se trouve au Mali, la zone comprend aussi tout ou partie des États voisins : le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire.

Kora, balafon et ngoni

Sur le plan musical, certains éléments traditionnels sont partagés par les uns et les autres, sans pour autant être présents de façon uniforme. À commencer par les instruments. L’emblématique kora et ses 21 cordes, tout d’abord, avec laquelle se sont illustrés notamment Sidiki Diabaté et Djelimady Sissoko : auteurs d’un disque de référence en 1970 baptisé Cordes anciennes, les pères de Toumani Diabaté et Ballaké Sissoko, qui brillent à leur tour aujourd’hui avec cette harpe africaine, ont été des membres éminents de l’Ensemble instrumental national du Mali né au lendemain de l’indépendance. Ils ont aussi accompagné le chanteur guinéen Sory Kandia Kouyaté, ambassadeur de la culture mandingue dans le monde entier dès la fin des années 50 avec les Ballets africains de Fodebo Keita.

Version ouest-africaine du xylophone, entendu notamment en Guinée et au Burkina, le balafon appartient lui aussi au patrimoine régional. Il est même, raconte la légende, un héritage direct du règne de Soundiata Keita et occupe donc un rôle central dans la musique telle qu’elle s’est transmise au fil des siècles. Le ngoni, autre cordophone, et les percussions comme le djembé sont également des vecteurs au rôle ancestral d’un genre « globalisé » sous l’appellation de musique mandingue, convient Habib Koité, l’un des artistes maliens les plus actifs à l’international depuis trois décennies.

L’expression, consacrée dans le milieu de la world music, relève sans aucun doute de la simplification, avec son inévitable cortège de critiques légitimes, mais elle n’en reste pas moins utile et tout de même pertinente : « C’est juste une clé pour ouvrir une porte sur toutes les musiques de l’espace qui couvre le Mali et les pays voisins. Et une fois qu’on est entré dans la pièce, on va trouver toute une diversité de styles », poursuit le lauréat de l’édition 1993 du prix Découvertes RFI.

« Quand tu entends un rythme bara, tu sais que ça vient de Ségou ; le takamba, c’est un rythme songhaï ; au pays Senoufo, ça n’a rien à voir avec le reste du Mali », explicite le quinquagénaire qui a contribué à décloisonner ces spécificités ethniques à travers ses albums personnels et les multiples projets auxquels il a participé.

La démarche artistique d’Habib Koité s’inscrit dans la continuité de l’entreprise recherchée par les autorités du jeune État après 1960. Jusque-là, « la musique étant réservée uniquement à la caste des griots, tout autre jeune qui se dirigeait dans cette voie était considéré comme un délinquant, un amuseur public », rappelle Sorry Bamba dans son autobiographie De la tradition à la Word Music (1996), ouvrage qui revient sur les différentes phases du processus de mutation appliqué à l’expression musicale, tant dans sa forme que dans sa nature sociétale.

L' »authenticité » guinéenne

Le ton est en premier lieu donné par la Guinée, alors qu’elle vient de quitter le giron français en 1958 et se retrouve mise au ban par l’ex-puissance coloniale. Pour susciter un sentiment national et l’adhésion de la population, le président Sékou Touré s’empare de la culture comme un outil destiné à mettre en valeur une identité en rupture avec l’influence occidentale.

Au nom d’une politique dite « de l’authenticité », « de nouveaux orchestres et troupes artistiques sont créés dans chacune des 34 régions administratives de Guinée. Les musiciens de ces orchestres régionaux sont formés par les orchestres nationaux et ont été chargés par le gouvernement de créer de nouvelles chansons et des styles musicaux à la fois adaptés à leurs régions et pertinents au regard de la nouvelle ère politique et sociale », écrit l’universitaire australien Graeme Counsel dans son article The Search for Authenticité in a Global Age : Artists and Arts Policy in Francophone West Africa (2008).

La mécanique permettant la modernisation du patrimoine est en marche. Émanations du Syli Orchestre National, les groupes phares de Keletigui et ses Tambourinis et de Balla et ses Balladins mènent la danse, avec entre autres les Amazones de Guinée et le Bembeya Jazz qui compte dans ses rangs le guitariste Sekou Diabaté et accueille plus tard le jeune chanteur prodige Sékouba Bambino.

Du Mali à la Côte d’Ivoire

Le Mali, après avoir twisté au début des années 60, s’inspire de l’exemple guinéen. Des compétitions culturelles nationales sont organisées et des groupes voient le jour dans les circonscriptions administratives qu’ils représentent. Objectif : puiser dans le folklore pour l’adapter à son époque, mais aussi servir les intérêts du régime de Modibo Keita.

Ce mécénat d’État, puisque les musiciens sont souvent fonctionnarisés, produit ses effets : toute une génération d’artistes éclot à travers le pays. La guitare prend une place nouvelle, s’inspirant des voix et du balafon. Les schémas traditionnels n’ont plus la même pesanteur, la musique n’est plus l’exclusivité des griots.

L’ampleur du changement devient visible à partir de la fin des années 70, lorsque nombre de musiciens maliens fuient le régime militaire de Moussa Traoré et rejoignent Abidjan, en Côte d’Ivoire. Là-bas, ils retrouvent d’autres instrumentistes des pays voisins eux aussi attirés par l’énergie qui commence à se dégager de la « Manhattan des tropiques ».

Profitant de la proximité de Lagos, au Nigeria, l’industrie musicale y est en plein essor, la créativité exacerbée. La capitale économique ivoirienne sert de rampe de lancement vers le marché européen, à l’image de Mory Kanté dont le tube Yeke Yeke en 1988 a un goût inédit. En quelques années, les opportunités se multiplient pour le Malien Salif Keita, le Guinéen Manfila Kanté, le Burkinabé Amadou Ballaké…

L’intérêt porté à cette musique hors du continent alimente sur place le phénomène. Tel un trésor soudain découvert, le Mali est l’objet de toutes les attentions dans la décennie suivante : Ali Farka Touré (que le réalisateur américain Martin Scorcese met en avant en 2003 dans son long-métrage Du Mali au Mississippi), Toumani Diabaté, Lobi Traoré, Idrissa Soumaoro, Boubacar Traoré, Kasse Mady Diabaté, Amadou et Mariam entament des carrières internationales difficiles à imaginer dix ans plus tôt. Et les femmes gagnent en visibilité, sous l’impulsion d’Oumou Sangaré, Nahawa Doumbia et Rokia Traoré.

Musique mandingue contre culture mondialisée

Insensiblement, toutefois, un décalage se fait jour, entretenu par les sollicitations extérieures qui tendent à déconnecter les artistes de leurs compatriotes, et en particulier de la jeunesse – près de la moitié des 20 millions de Maliens ont moins de quinze ans et les proportions sont similaires chez leurs voisins.

Ceux qui ont tout à coup les faveurs du public occidental, comme le Burkinabé Victor Démé révélé en 2008 ou la Malienne Fatoumata Diawara en 2011, ont dans leur pays une notoriété nettement moindre sinon nulle. Bien qu’il soit demandé en permanence en Europe ou aux États-Unis, Habib Koité reconnaît volontiers qu’il lui serait impossible de remplir le stade de Bamako, contrairement aux stars locales des musiques urbaines.

Même constat en Guinée, où le guitariste Moh ! Kouyaté, autrefois colistier de Ba Cissoko, cherche à contrer la tendance avec le collectif Guinea Music All Stars pour conjuguer le passé au présent. Le rouleau compresseur de la culture mondialisée va-t-il tout écraser sur son passage ?

C’est oublier l’époque, pas si lointaine, où la mode des rythmes cubains a submergé toute l’Afrique de l’Ouest, sans affaiblir a posteriori ses fondamentaux. La musique mandingue possède une faculté de résilience qui va de pair avec sa capacité à se régénérer.

RFI.fr

 

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