Abdoulaye Sylla: « il y a plusieurs façons de rattraper le retard dans l’élaboration de la nouvelle Constitution ».

À moins de 13 mois de la fin annoncée de la transition guinéenne, comme le stipulent les accords signés entre le CNRD au pouvoir et la CEDEAO, plusieurs acteurs politiques, sociaux, mais également des juristes s’interrogent sur la réelle volonté des autorités guinéennes à vouloir aller vers un retour rapide à l’ordre constitutionnel.

Dans la rubrique invité de la semaine, votre quotidien en ligne a rencontré Dr Abdoulaye Sylla, enseignant, chercheur, spécialiste en droit constitutionnel et avocat au barreau de Guinée pour parler du retard que le CNT est en train d’accuser dans l’élaboration de la future nouvelle constitution de la Guinée.

Conakryinfos.com : Déjà 11 mois sur les 24 accordés par la CEDEAO se sont écoulés et nous n’avons toujours pas vu l’avant-projet de la nouvelle constitution, qu’est-ce que vous pensez de cette lenteur du CNT ?

Vous savez, la transition, c’est le passage d’un ordre constitutionnel à un autre et de nos jours, nous sommes en train de préparer les bases de notre futur ordre constitutionnel. Et cela va passer par l’adoption de la constitution de sortie de crise. Il a été convenu avec la CEDEAO un accord selon lequel la transition est censée finir à la fin de l’année 2024. Donc ce délai approche et en amont, il faut un travail colossal, notamment l’écriture et l’adoption des textes juridiques qui vont nous permettre d’organiser les élections à venir et parmi ces textes juridiques, la constitution est fondamentale parce que, c’est elle qui pose les fondements de l’ordre juridique à venir. Et c’est lorsque cette constitution est adoptée par le peuple de Guinée et promulgué par le président de la transition qu’on va par la suite essayer de réviser les textes infra constitutionnel, tels que le Code électoral et les lois organiques en rapport avec les activités à venir pour les mettre en harmonie avec la constitution. Si la constitution n’a pas été adoptée jusqu’à maintenant, ça peut emmener à nous poser des questions. Mais je ne sais pas qu’elle est la stratégie adoptée par le CNT, parce que vous savez, c’est le CNT qui est chargé d’élaborer l’avant-projet de la nouvelle constitution. Moi, à mon avis, si j’étais un conseiller du président du CNT, dans un premier temps apprêter la mouture de la nouvelle constitution. Et une fois que cela est fait, même si le référendum n’a pas lieu et le texte n’est pas promulgué sans attendre, se mettre à l’œuvre sur les textes infra constitutionnel en espérant que l’avant-projet qui sera soumis va passer et cela permet de gagner en temps. Parce que si ont dit qu’on va attendre de l’adoption ou du processus constituant qui aboutit à la promulgation de la nouvelle constitution, ensuite revenir sur les textes infra constitutionnel, pour les mettre en harmonie, là, j’ai vraiment peur que nous soyons en retard par rapport au délai.

Conakryinfos.com : Est-ce que selon vous, le CNT ne serait pas dans la logique de cacher l’avant-projet de la nouvelle constitution pour retarder la durée de cette transition ?

Il y a des rumeurs qui circulent soi-disant qu’ils ont déjà le texte, mais jusqu’à présent, moi en tant que constitutionnaliste et aussi analyste, je dis tout simplement que c’est un retard dans l’élaboration de la nouvelle constitution. Un retard qui peut encore être rattrapé, si la volonté est là. Mais il est important de sortir ce texte-là et de le mettre à la disposition du peuple de Guinée. Parce que, il faut savoir quand la première mouture du texte est prête, il y a toute une campagne qui va suivre, il faut que le peuple soit informé du contenu et il faut vulgariser le contenu des textes dans les langues nationales afin que le peuple sache de quoi il s’agit. Ensuite, convoquer le référendum pour que les Guinéens aillent valider ou invalider le texte proposé et c’est à l’issue de tout ça que le texte approuvé sera promulgué par le président de la transition.

Conakryinfos.com : Est-ce que vous pensez que les autorités ont la volonté de finir rapidement avec cette transition ?

Quant à la volonté des autorités de respecter le chronogramme, si on se fie aux différents discours tenus par le porte-parole du gouvernement, on dira qu’il n’y a pas de doutes. À chaque fois et à chaque intervention, ils réaffirment leur engagement à revenir à l’ordre constitutionnel normal et à rendre le pouvoir à des autorités civiles démocratiquement élues. Ces discours sont à prendre en considération, mais il faut des actes concrets qui rassurent davantage le peuple de Guinée par rapport aux engagements pris.

Conakryinfos.com : Est-ce qu’il y a un délai pour élaborer une constitution ?

La question est difficile à répondre, j’ai eu à travailler sur les transitions constitutionnelles, et dans mes recherches la durée d’une transition est à géométrie variable. Dans ce sens que chaque transition est un cas d’école. Les transitions enclenchées suite à un conflit armé et les transitions enclenchées suite à un coup d’État, lorsque vous prenez la transition guinéenne et celle malienne ou burkinabé, on n’est pas confronté aux mêmes réalités est différente de la nôtre. Parce que nous en Guinée, c’est simple, une crise constitutionnelle, une crise institutionnelle qu’il faut essayer de réparer pour revenir à l’ordre normal. Donc la durée d’une transition est à géométrie variable.

Conakryinfos.com : Quelles sont les garanties dans l’élaboration d’une bonne constitution pour la Guinée ?

Le CNT a la charge d’élaborer la nouvelle constitution, mais ce qu’il faut garder à l’esprit, le CNT est composé d’un certain nombre de personnalités et ce n’est pas toutes ces personnalités qui maîtrisent le droit et surtout le droit constitutionnel. Donc, rien n’empêche le CNT de travailler avec des experts recrutés pour l’accompagner dans ces tâches. Ce que moi, je pourrai proposer à ce niveau, c’est de faire en sorte qu’il y ait déjà une entente entre eux au sein du CNT sur l’avant-projet qui va sortir parce que ça sera l’avant-projet élaboré par le CNT. L’une des garanties de la réussite du processus, c’est d’abord l’unanimité qu’ils feront en leur sein sur l’avant-projet qui va sortir. Et deuxièmement, c’est le sérieux qui aura caractérisé le travail en question, parce que si vous dites que vous allez faire une constitution qui va résister au temps, et qui va demeurer longtemps, il faudrait que le travail soit bien fait et que ce travail, soit en harmonie avec les aspirations du peuple souverain. Il faudrait que ce soit comme le disait Aristote, la constitution, ‘’ c’est le génie du peuple’’, et De Gaulle a renchéri en disant que la constitution, ‘’c’est l’esprit du peuple’’. Il faudrait que le texte qui va sortir corresponde aux aspirations du peuple.

Conakryinfos.com : Est-ce que la Guinée avait besoin d’une nouvelle constitution ?

Cette question n’a plus de sens, dans la mesure où, depuis le 5 septembre, les autorités de la transition ont déjà tranché. Et si c’était la veille de la transition qu’on m’avait posé cette question, j’allais donner une autre réponse. Mais le lendemain de la transition, à partir du moment où on a dit la constitution est abrogée, les institutions sont dissoutes, ce qui revient à dire qu’on a nécessairement besoin d’une nouvelle constitution. N’empêche qu’elle pourrait s’inspirer de la constitution de 2010, de la constitution de 1982, 1990 et même de celle de 1958, elle peut s’inspirer, mais on a besoin d’une nouvelle constitution parce que l’ancienne constitution a été abrogée.

Conakryinfos.com : Si le Conseil National de la Transition ne présente pas l’avant-projet avant la fin de l’année, est-ce qu’il y aura un glissement de calendrier selon vous ?

Vous savez, il y a plusieurs façons de rattraper le temps. En 2010 par exemple, la transition proprement dite n’avait duré que six mois. L’adoption des accords de Ouagadougou et l’organisation des premières élections présidentielles, il n’y a eu que six mois. D’ailleurs, le texte de la constitution a été promulgué le 7 mai et en moins de six mois, on avait la nouvelle constitution et, en moins de deux mois, on avait organisé le premier tour des élections présidentielles. Donc, jusqu’à preuve contraire, moi, j’ose espérer que nous allons réussir notre transition dans le délai imparti.

 

 

Interview réalisée par Mamadou Samba Barry

620669645