Procédure de destitution : pour reprendre la main, Donald Trump joue la surenchère

Sur la défensive depuis le déclenchement par les démocrates de la Chambre des représentants d’une procédure de destitution, Donald Trump a tenté de reprendre l’initiative à sa manière, jeudi 3 octobre. Par la surenchère. Alors qu’il quittait la Maison Blanche pour un déplacement en Floride, le président des Etats-Unis a en effet invité publiquement l’Ukraine et la Chine à enquêter sur l’un de ses opposants politiques, l’ancien vice-président Joe Biden, et sur son fils Hunter.

Donald Trump avait déjà suggéré à son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky de se lancer dans une telle entreprise au cours d’une conversation téléphonique, le 25 juillet, qui est à l’origine de la procédure de destitution. Il a répondu jeudi matin à la question qu’il avait esquivée la veille, sur un ton de plus en plus comminatoire, en dépit des relances opiniâtres du journaliste de Reuters, Jeff Mason.

« Qu’espériez-vous que Zelensky fasse exactement au sujet des Biden après votre appel ? », lui a-t-il été demandé.

« Je pense que s’ils étaient honnêtes, ils ouvriraient une grande enquête sur les Bidens. C’est une réponse très simple. Ils devraient enquêter sur les Biden (…) Et, soit dit en passant, la Chine devrait également ouvrir une enquête sur les Biden, car ce qui s’est passé en Chine est aussi grave que ce qui s’est passé avec l’Ukraine ».

Interrogé pour savoir s’il avait déjà évoqué le sujet avec son homologue Xi Jinping, Donald Trump a répondu :

« Ce n’est pas le cas, mais c’est certainement une chose à laquelle nous pouvons commencer à penser. »

Escalade

Aucun républicain n’a critiqué publiquement jeudi cette escalade. Le Financial Times a assuré avoir contacté individuellement les cinquante-trois sénateurs du Grand Old Party dont le vote serait décisif en cas de l’adoption d’une mise en accusation par la Chambre des représentants. Pas un seul n’a répondu, selon le quotidien.

Cette invitation lancée jeudi à Pékin a rappelé le « Russie, si vous écoutez… », lancé après la convention d’investiture républicaine de Cleveland, en juillet 2016. Le candidat républicain avait alors demandé à ce pays de chercher les milliers de courriers électroniques que son adversaire démocrate Hillary Clinton assurait avoir supprimés parce qu’ils relevaient selon elle de ses activités privées. Interrogé par écrit par le procureur spécial de l’enquête sur les interférences russes pendant la présentielle, Robert Mueller, le président des Etats-Unis avait assuré que la formule se voulait « ironique », qu’elle avait été « prononcée en plaisantant », « comme avait pu en conclure tout observateur objectif ». Aucun humour n’a été perceptible jeudi.

Cible désormais privilégiée de la presse conservatrice américaine, Hunter Biden a siégé au conseil d’administration d’une entreprise gazière ukrainienne de 2014 à 2019. Il a investi en Chine dans des activités de conseil en 2013, quand son père occupait le poste de vice-président (2009-2017). Au-delà d’un indéniable mélange des genres, il n’a jamais été inquiété par la justice de ces deux pays.
Cette contre-attaque de Donald Trump vise à tenter de déplacer l’attention sur l’ancien vice-président alors qu’il se trouve lui-même dans une position délicate d’un point de vue éthique compte tenu de sa décision de ne pas rompre les liens avec son empire immobilier désormais géré par ses fils en accédant à la présidence. Donald Trump a ainsi proposé en août que le prochain sommet du G7, prévu aux Etats-Unis, se tienne dans l’une de ses propriétés en Floride.

La provocation de Donald Trump est intervenue alors que la Chambre des représentants a entendu à huis clos, pendant neuf heures, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour l’Ukraine, le diplomate Kurt Volker, qui a démissionné de ses fonctions le 27 septembre. Selon la presse américaine, ce dernier a indiqué avoir mis en garde, à l’époque, l’avocat personnel de Donald Trump en pointe dans cette affaire, Rudy Giuliani, contre le procureur général Iouri Loutsenko sur lequel ce dernier s’appuyait pour mettre en cause la famille Biden. Le diplomate considérait le procureur comme peu fiable.

Changement de stratégie

Jeudi, le Wall Street Journal a confirmé un peu plus encore le rôle proéminent joué par Rudy Giuliani en assurant que ce dernier avait été déterminant dans le limogeage de l’ambassadrice des Etats-Unis à Kiev, Marie Yovanovitch, en mai. Selon le quotidien des affaires, l’avocat du président l’accusait de faire obstruction à ses efforts visant à faire ouvrir une enquête sur la famille Biden par les autorités ukrainiennes. Le New York Times a assuré de son côté que l’avocat avait suivi de près les efforts de deux diplomates, dont Kurt Volker, pour rédiger une déclaration destinée à être reprise à son compte par le président ukrainien dans laquelle il aurait rendu public l’engagement à ouvrir les enquêtes suggérées par Donald Trump. Cette déclaration n’a jamais été prononcée.

En début de soirée, un message publié sur son compte Twitter a consacré le changement de stratégie présidentielle. Après avoir nié initialement avoir demandé un tel service à l’Ukraine, Donald Trump a affirmé qu’« en tant que président des Etats-Unis, j’ai le droit absolu, voire même le devoir, d’enquêter ou de faire enquêter sur la corruption, même si cela inclut de demander ou de suggérer à d’autres pays de nous aider ! ».

Cette surenchère a poussé la présidente de la commission électorale fédérale à republier jeudi sur Twitter un rappel à l’ordre déjà exprimé en juin. « Permettez-moi de clarifier à 100 % quelque chose au public américain et à quiconque se portant candidat à une charge publique, avait alors écrit Ellen Weintraub. Il est illégal pour toute personne de solliciter, d’accepter ou de recevoir quelque chose de valeur d’un ressortissant étranger dans le cadre d’une élection américaine. Ce n’est pas un concept nouveau. »

Il ne fait aucun doute pour les démocrates que les démarches de Donald Trump vis-à-vis de l’Ukraine et de la Chine entrent dans cette catégorie.

Source : le Monde