Philan Traoré : « Alpha Condé s’appelle en vérité Al-Fatiha Condé »

[dropcap]D[/dropcap]e son vrai nom Moussa Traoré, Philan est connu pour n’avoir pas sa langue dans sa poche, mais également pour un homme qui a le cœur sur la main. Dans cet entretien, ce triplé comme Abraham, dont les frères n’ont pas survécu, évoque sa jeunesse scolaire, sa mère, sa relation avec le Pr Alpha Condé, ce qu’il a fait pour le RPG sous le général Lansana Conté et certaines personnalités de sa ville natale, Kouroussa.

Le Populaire: Pour commencer, d’où vous vient le surnom Philan ?

Philan Traoré : C’est le diminutif du mot « Philanthrope » ou homme qui aime ses semblables et cherche à améliorer leur sort. Et c’est bien là le sens de ma vie. Ce surnom m’a été donné en 1970. J’étais au lycée du 2-Août (ndlr : actuel lycée Donka, de Conakry) et commissaire politique de la 10e année C. On n’était élu à ce poste que pour ses qualités de meneur d’hommes reconnues par toute la classe. J’ai constaté qu’un de nos condisciples originaire de N’Zérékoré et logeant au camp Alpha Yaya, donc très loin, ne pouvait pas aller manger dans sa famille d’accueil à midi et retourner à 14h pour suivre les cours du soir jusqu’à 18h (ndlr : le système de journée continue n’avait pas encore été instauré en Guinée). Donc il avait toujours faim et les autres condisciples ne semblaient pas en avoir cure, ou en tout cas s’en rendre compte. Quant à moi, sa situation ne m’avait pas échappé et me causait particulièrement de la peine.
J’ai réussi, non sans avoir dû vaincre bien des réticences, à obtenir qu’à chaque pause, et à tour de rôle, il aille manger chez un camarade de classe n’habitant pas très loin du lycée.
Trois mois après, il s’est confié tout en larmes à notre proviseur, feu Sékou Philo Camara, et lui a demandé de me remercier pour mon attention envers sa personne. Le lendemain matin, autour du mât, avant la montée des couleurs, devant plus de 6 000 élèves, le proviseur a dit à ma grande surprise : « Je voudrais vous présenter un philanthrope qui se trouve parmi vous : le commissaire politique de la 10e année C, Moussa Traoré. » Et il a raconté ce que j’ai fait pour mon condisciple. Il y a eu une longue ovation et les élèves ont scandé : « Philan ! Philan ! » Et voilà, ce surnom m’a été collé depuis. J’ajouterai qu’on m’appelle Baraka Moussa au village, parce qu’au lycée déjà, j’avais appris à entretenir ma mère qui était très pauvre. Ceux qui me connaissent savent que j’ai toujours vécu pour les autres. Ma devise est : « Tout pour les autres et rien pour moi-même » !

On vous dit proche du président Alpha Condé. Comment vous êtes-vous connus ?

C’est à Mamou, lorsque j’étais secrétaire général de la Préfecture que l’actuel directeur de l’agence de l’UGAR et à l’époque secrétaire général de la section RPG de Mamou, M. Sacko, m’a présente au Professeur au domicile du Dr Sow, l’actuel ambassadeur de Guinée en Allemagne. Peu après, il a été arrêté. Ensuite, ma maman, Hadja Assa Keïta, m’a confié un message pour lui. Bien évidemment, eu égard à ma position dans l’administration publique, je ne pouvais lui rendre visite à la maison centrale de Coronthie.
J’ai approché son frère feu Malick Condé et l’ai chargé de lui transmettre le message suivant de ma mère : « J’ai très bien connu votre père. C’était à travers mon mari. Vous ne vous appelez pas Alpha Condé mais Al-Fatiha Condé (ndlr : Al- Fatiha ou L’Ouverture est la première sourate du Coran).
Retenez à jamais que le temps est lent mais rapide, que la vie est douce mais amère, que l’avenir rassure mais surprend, que le courage se paye, que la dignité se vit, que la souffrance est une épreuve. Ayez confiance en vous-même.
Sachez que le monde aura besoin de vous un jour et que le soleil se lève non sur un commandement humain mais par la volonté de Dieu. Donc personne ne pourra briser votre destin. J’ai foi en votre réussite. ». Malick Condé m’a assuré qu’il a transmis le message. Mais je n’en ai été vraiment convaincu que 13 ans plus tard, aux obsèques de ma mère, décédée le 27 octobre 2011. Le Pr Alpha Condé, devenu président moins d’une année avant, avait dépêché à Kouroussa une forte délégation gouvernementale et fait lire le Coran durant les 40 premiers jours, sans interruption, pour le repos de l’âme de ma maman.

Pourquoi êtes-vous plus sollicité que certains ministres ?

Il y a des gens qui sont nommés par le président de la République pour exercer une parcelle de son pouvoir et l’aider dans sa tâche. Je n’en suis pas, cependant je suis un homme du pouvoir. Je sers l’État discrètement mais efficacement et avec abnégation. Les gens s’en rendent compte et me sollicitent.

On dit qu’à Dabola, lorsque vous en étiez le préfet, vous aviez fait libérer tous les prisonniers du RPG. Est-ce vrai ?

Tout à fait. Lorsque j’ai pris mes fonctions de préfet à Dabola, en janvier 1997, un de mes proches cousins, Kalas Keïta, à l’époque secrétaire général de la section RPG, était emprisonné avec plusieurs autres citoyens pour leur appartenance au RPG et leur engagement pour ce parti. Ma mère m’a prié de le faire libérer.
Je ne pouvais m’y soustraire. Estimant qu’il serait injuste de le sortir seul de prison, j’ai pris la décision de les faire libérer tous, à mes risques et périls.

Peu après, sur dénonciation du gouverneur de Faranah, le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation est allé voir le président de la République pour demander mon limogeage. Le général Lansana Conté l’a rabroué en lui disant : « Tu veux que je limoge un commis de l’État tout simplement parce qu’il a libéré des innocents ? Il a très bien fait, fiche-lui la paix ! » La scène m’a été rapportée par le ministre de la Sécurité d’alors qui était présent. Déjà en 1993, lorsque j’étais secrétaire général de la Préfecture de Koundara et que les forces de défense et de sécurité avaient investi Kouroussa, pour mater un mouvement de contestation des résultats de l’élection présidentielle, j’y avais envoyé l’ambulance de l’hôpital préfectoral de Koundara pour exfiltrer plusieurs pères de famille menacés et cachés çà et là, dont Elhadj Sona Mamady Condé, encore vivant à Kouroussa.

Après la proclamation des résultats des communales de 1999, il y avait eu des troubles à Mamou, lorsque vous en étiez le préfet. On a raconté qu’à votre ordre, des essaims d’abeilles avaient surgi de nulle part et contraint tout le monde à rentrer chez soi. Mythe ou réalité ?

C’est la pure vérité ! Vous savez, Kouroussa a ses secrets, que le grand écrivain Camara Laye a du reste largement évoqués dans L’Enfant noir. Ces abeilles sont des guerriers surnaturels de ma feue mère. Elle m’en a confié le commandement. Mais je ne peux les lancer que pendant les révoltes populaires et non pendant les émeutes, sinon les conséquences seront fâcheuses pour moi.

C’est le pacte ! Aussi, je mets en garde toute personne qui tenterait de provoquer une désobéissance civile sous le Pr Alpha Condé. Je reconnais toutefois que la plupart des émeutes qui éclatent dans la banlieue de Conakry sont dues à l’usage disproportionné de la force par les FDS. Si on se contente d’encadrer une manifestation dans les règles de l’art, il y aura zéro mort, zéro blessé, zéro casse.

Les gens de Kouroussa sont très pays, comme on dit. On a allégué que votre congénère qui est actuellement le ministre des TP avait détourné de gros montants lorsqu’il dirigeait le Fonds d’entretien routier. Qu’en est-il selon vous ?

Ces allégations ne sont que calomnie et diffamation. Mohamed Traoré est victime de sa loyauté envers le Professeur, mais aussi de la franchise qu’il tient de son éducation. Il est un des lieutenants de la première heure du RPG. C’est pour cela qu’il dérange. Mais c’est peine perdue ! Il est descendant de la lignée des Traoré qui avaient signé un pacte de cousinage à plaisanterie avec les Condé au 12e siècle, à la charte de Kouroukanfougan, sous le règne de l’empereur du Ouassouloun Soundiata Keïta. Donc il ne peut pas trahir le professeur Alpha Condé.

Le nouveau directeur général de l’ANAIM, Kadialiou Cissé, également votre congénère, aurait été empêché récemment de prendre fonctions. Étant bien informé de la vie administrative guinéenne, pouvez-vous nous dire qu’est-ce qu’il en est réellement ?

Moi je ne gère pas les rumeurs ! Tous ces ragots sont dus au fait qu’il y avait beaucoup de concurrents pour le poste.
Le président de la République l’a retenu parce qu’il est le plus méritant. Un point c’est tout ! À ce que je sache, il n’a pas été empêché de prendre service.

Lansana Kouyaté est une autre grande personnalité de Kouroussa. Quels sont vos rapports avec lui ?

Aucun ! Du moins depuis qu’il est entré dans l’opposition, en jetant aux orties son alliance avec le Pr Alpha Condé au second tour de la présidentielle de 2010.

Dans un an et demi, ce sera la fin du quinquennat. Sans parti pris et au vu de la conjoncture économique très difficile, croyez-vous que le Pr Alpha Condé a des chances d’obtenir un second mandat en 2015, en toute transparence ?

Je suis tellement optimiste que j’affirme dès maintenant qu’il sera réélu au premier tour. À condition toutefois que le directeur général du Projet d’aménagement hydroélectrique de Kaléta ne dorme pas sur ses lauriers. S’il fait en sorte que le barrage soit lancé avant la fin du mandat présidentiel, il y aura une belle éclaircie dans le ciel de l’économie nationale et le professeur Alpha Condé se fera réélire sans même devoir faire campagne. Car il y aura du courant pour tout le monde et assez pour permettre la mise en œuvre de son ambitieux programme d’industrialisation de la Guinée.

En quelques mois, le pays connaîtra une croissance à deux chiffres, des centaines de milliers d’emplois seront créés dans tous les secteurs et la Guinée commencera à accumuler une formidable richesse. Je prédis déjà qu’après le lancement du barrage, obtenir un visa d’entrée et un titre de séjour en Guinée sera le parcours du combattant pour un étranger.

Que ceux qui en doutent retiennent seulement ce que ma feue maman a dit : Alpha Condé s’appelle en vérité Al- Fatiha Condé. Je leur fixe rendez-vous à fin 2015 !

Interview réalisée par El Béchir (Le Populaire)