Péril au port : le président des entreprises de manutention portuaire Dio Condé tire la sonnette d’alarme

Dio Condé, Président de l’association guinéenne des entreprises de manutention portuaire.

[dropcap]D[/dropcap]ans une interview accordée à  Guinéenews, le  donne les grandes vues de son organisation sur la gestion actuelle du Port autonome de Conakry.

Guinéenews : Vous avez été élu récemment président de l’AGEMAP (association guinéenne des entreprises de manutention portuaire), parlez-nous de cette association ?

Dio Condé : Je vous remercie. L’AGEMAP est une association, comme son nom l’indique, dont l’objet social est entre autres, de faire de la représentation et la défense des intérêts de la profession de manutentionnaire portuaire, auprès des autorités compétentes. Les statuts de l’association ont été établis et ratifiés le 22 mars 1995, par cinq (5) sociétés qui sont : Soguicom, Scac-Delmas Vieljeux, Getma-Guinée, SOAEM et Socopao. Aujourd’hui, avec l’évolution et la qualification des sociétés Guinéennes, l’association a, en son sein, six (6) sociétés, dont quatre (4) Guinéennes et  deux (2) étrangères. Nous étions sept (7), mais depuis quelques semaines, une société a mis la clé sous le paillasson, pour des raisons économiques. Je veux nommer la société Transafrica du Groupe Necotrans. Maintenant, l’association est animée par les sociétés :Transmar, Transmarine, Transco, Getma-Guinée, Bolloré Africa Logistic et Conakry Terminal. Les deux dernières appartiennent au Groupe Bolloré. J’ai été élu Président, le 31/10/2014 par cinq (5) voix sur sept (7). Les deux (2) sociétés du Groupe Bolloré s’étaient abstenues pour des raisons qui leurs sont propres. L’AGEMAP a, en son sein, une direction nommée BMOP (Bureau de la Main d’œuvre Portuaire), qui gère dans son entièreté, le personnel docker, exerçant l’activité physique de manutention au Port Autonome de Conakry. L’Agemap assure les traitements et salaires du personnel docker via le BMOP depuis 1995.

Vous gérez tout cela, cela semble être une lourde responsabilité ?

Dio Condé : Oui, tout a fait. Malheureusement, j’ai hérité d’une situation très difficile et conflictuelle, liée à un différend entre les membres de mon association. Un  différend qui a été entrainé par un AVIS N°0688 du PAC en date du 30/07/2014, transférant la manutention Ro-Ro vers Conakry Terminal. C’est d’ailleurs ce différend qui a amené les membres de l’association à convoquer une assemblée générale extraordinaire, au cours de laquelle, je fus élu Président. Depuis ma prise de fonction, j’essaie d’arbitrer tant bien que mal entre les membres de mon association. J’avoue que c’est très difficile, mais avec le temps, je pense y arriver…La volonté y est et je pense que les autres membres m’aideront à accomplir ma mission.

Justement, actuellement, il y a un bras de fer entre le Groupe Bolloré et les opérateurs manutentionnaires Ro-Ro au sein du port. De quoi s’agit-il réellement ?

Dio Condé : Comme je le disais plus haut, ce bras de fer est parti de cet avis N°0688 du port autonome de Conakry. Il y a eu contestation de deux de mes membres (Transco et Getma-Guinée…) et de la société Afrimarine, membre de l’AGUICOM (ndlr : Association Guinéenne des Consignataires Maritimes). Ces trois sociétés font du trafic Ro-Ro sur Conakry par le biais de leur armement respectif. Il se trouve que cet avis du port, transfert leur fonds de commerce manutention à une seule société, en l’occurrence Conakry Terminal, sur la base d’une convention controversée. C’est justement à ce niveau que le «bât blesse », puisque ces trois  sociétés ont démontré et prouvé que les activités Ro-Ro, ne sont pas initialement dans la convention de Conakry Terminal. Elles sont parties de plusieurs éléments pour le prouver, dont l’Appel d’Offres initial, mais surtout la convention de Getma International. Elles ont démontré que le Port Autonome de Conakry, dans la convention établie avec Bolloré, avait inclu dans ladite convention, « toutes les activités » du PAC, dont les Activités du Terminal Conventionnel. D’où l’avenant N°1, qui devait « recadrer » les activités de Conakry Terminal, au seul Terminal Conteneurs, comme le prévoyait les termes de l’Appel d’Offres initial et la convention de Getma International, qui leur avait été octroyée de façon opaque. Malheureusement, et comme par enchantement, cet avenant N°1, n’a fait mention que de l’exclusion des « Activités Conventionnelles», en omettant les Ro-Ro. D’où ces tapages, cris et bras de fer entre le port et les opérateurs maritimes qui faisaient le trafic Ro-Ro.

Que répondez-vous à ceux qui disent que vous étiez présents sur l’espace portuaire depuis plus de 30 ans, sans réaliser ce que Bolloré a fait en trois ans ?

Dio Condé : C’est une excellente question ! Mais vous savez, il faut donner la bonne information aux guinéens. Il ne faut surtout pas manipuler l’opinion publique dans le mauvais sens. Vous devez comprendre que Bolloré était bel et bien présent en Guinée avec nous. Revoyez un peu le début de mon entretien avec vous, et vous verrez que les sociétés de Bolloré étaient bien présentes en Guinée et sont mêmes, membres fondateurs de notre association. Je veux citer la Socopao et la SCAC Delmas Vieljeux (SDV). C’est trop facile de jeter l’opprobre sur des sociétés qui sont actuellement en difficulté face à Bolloré. La question qu’il faut se poser est la suivante : est-ce ces sociétés ont eu les mêmes avantages et soutiens que Bolloré ? Vous devez savoir que c’est  grâce à ces sociétés portuaires que le Port de Conakry est devenu aujourd’hui attractif et compétitif, au point d’amener Bolloré à vouloir le gérer dans son entièreté. Pour preuve, demandez à Bolloré, où est-ce qu’il a « trouvé »  le « personnel qualifié » qu’il utilise actuellement sur son Terminal à Conteneurs ?  Mais, c’est chez nous qu’il a trouvé ses agents qui travaillaient au port depuis une trentaine d’années ! Il faut signaler le fait que la compétition entre les différents opérateurs Ro-Ro au port de Conakry, a entrainé une baisse significative des taux de frets sur Conakry. Nous sommes passés de 1.500 euros en 2007 à 500 euros en 2014. Pour le fret d’un véhicule ordinaire de Anvers (Belgique) à Conakry, le trafic est passé de 10.000 véhicules en 2007 à 40.000 à fin Décembre 2013, avec pour corollaire, une augmentation significative des recettes douanières. Alors, dire que nous n’avons rien apporté au Port de Conakry et à l’économie Guinéenne, je vous laisse apprécier.

Selon nos informations, partout où le Groupe Bolloré est présent en Afrique, il gère les Terminaux à Conteneurs exclusivement. Dites-nous, pourquoi en Guinée, il étend son champ d’action aux Ro-Ro et vise d’autres activités ?

Dio Condé : Question très difficile et complexe, mais néanmoins, je vais tenter d’y répondre. Il faut reconnaitre que le groupe Bolloré est présent dans beaucoup de ports de la Sous-région et que cette présence ne peut pas être bénéfique pour le Port Autonome de Conakry. Comment est-ce qu’il pourrait rendre notre port compétitif face au Port d’Abidjan, pour le trafic malien notamment ? Le Port d’Abidjan est déjà très structuré et les infrastructures répondent à tous les besoins de ce trafic en la matière. Il n’y a pas photo, comme dirait l’autre. Le groupe Bolloré privilégiera toujours le Port d’Abidjan au profit du Port Autonome de Conakry. Certes, il investira sur le trafic Guinéen, mais son principal objectif est de gérer toutes les autres activités du port. Le trafic Ro-Ro en Guinée, n’est qu’un début de sa grande soif.

Le chef de l’Etat, lors de l’inauguration du Terminal Conteneurs, financé par Bolloré, à hauteur de 45 millions d’euros, a-t-on appris, a laissé entendre que le Groupe Bolloré reprendrait tous les employés concernés par le transfert du trafic Ro-Ro. Quand est-il de cette situation ?

Dio Condé : C’est actuellement le grand souci que j’ai à la tête de l’Agemap ? Vous savez, les débats ont été sortis de leur contexte. Il s’agit d’un problème lié à l’activité de manutention. En principe, ceci aurait dû être un préalable qu’on devrait résoudre au sein de l’AGEMAP. Malheureusement, tout a été fait de travers. Nous sommes actuellement en pourparlers avec la Marine Marchande, qui est l’autorité de régulation maritime pour essayer de résoudre ce casse-tête. Je pense que le Port Autonome de Conakry a mis les charrues avant les bœufs, parce qu’il fallait d’abord résoudre les aspects « techniques » de ce transfèrement des Ro-Ro,  avant de parler de l’aspect du « personnel ». C’est pourquoi, nous sommes dans l’impasse actuellement avec le PAC, la Marine Marchande et les Syndicats. Hormis la Marine Marchande, aucune autorité n’a voulu aborder les aspects techniques. Est-ce par peur ou par incompétence ? Je ne saurais le dire. Mais, je pense qu’il y a un peu des deux ! Ce sont tous ces facteurs convergents qui ont entrainé la première grève au sein du Port, initiée par le Syndicat National des Travailleurs Maritimes de Guinée. En réalité, il faut garantir les emplois qui seront transférés chez le groupe Bolloré. Surtout, dans le contexte économique actuel du pays. Pour l’instant, nous sommes en train de travailler, de commun accord avec les syndicats, l’inspection du travail, la Marine Marchande et Bolloré, pour trouver un terrain d’entente afin de sortir de cette crise.

Ne craignez-vous pas que cette situation ne crée  un monopole au sein du port ?

Dio Condé : Evidemment ! C’est sans commentaires, puisque l’évidence n’est pas une chose démontrable. Le Monopole n’a jamais développé un pays, même dans les pays communistes, il n’est plus de mise. Le plus grand pays capitaliste au monde, je veux parler des Etats-Unis d’Amérique, a mis en place une loi ‘’anti-trust’’, pour bloquer justement les effets pervers du monopole. Le Monopole qui est en train d’être gagné par Bolloré sur le Port Autonome de Conakry, va, dans le temps, ‘’tuer’’ l’économie Guinéenne. Contrairement à ce que beaucoup pensent, le Port donne ainsi plus de 70% de ses recettes à un seul opérateur. Ce qui n’est pas, à mon avis, une très bonne chose. Mais, le temps donnera raison à qui de droit…

Dans ce contexte peu reluisant, quel avenir pour votre association ?

Dio Condé : Franchement, je suis très pessimiste ! Tout est mis en œuvre pour « tuer » les compétences Guinéennes de l’AGEMAP et laisser Bolloré et Conakry Terminal seuls maitres à bord !

 

 

 

 

Source: Guinéenews