Les guinéens en quête de médicaments devront désormais se rendre dans les pharmacies. Les autorités de la transition viennent d’engager une lutte sans merci contre les usurpateurs de la profession de pharmaciens.
Dans cette lutte, le Département de la Santé tente d’éradiquer le marché parallèle des produits pharmaceutiques, mais tente aussi de faire fermer les cliniques clandestines.
Dans une interview accordée à Conakry Infos, Dr Ben Youssouf Keita, président du parti ACP a donné son point de vue dans cette lutte. Le médecin généraliste pense que « les faux médicaments sont des poisons lents qui tuent la population à petit feu ».
Conakry Infos : Docteur, nous avons vu cette lutte farouche que l’État guinéen a engagée pour lutter contre les faux médicaments, en tant que médecin, quel est votre avis par rapport à cette lutte contre les usurpateurs de la profession de pharmaciens ?
C’est une lutte digne de respect, digne d’accompagnement, parce que les faux médicaments sont des poisons lents qui tuent la population. Je vais vous donner une illustration. La Guinée a pris son indépendance en 1958, nous étions plus ou moins 3 millions d’habitants, la Côte d’Ivoire a pris son indépendance en 1960, ils étaient plus ou moins de, 4 millions et demi d’habitants, donc il n’y avait pratiquement qu’1 million et demi de différence entre nous en termes de population. Mais 60 ans après, la Côte d’Ivoire a pratiquement quintuplé sa population, c’est-à-dire 25 millions d’habitants. La Guinée, quant à elle, n’a que triplé, c’est-à-dire, 12, voire 13 millions et demi d’habitants. Pourquoi ? Alors que le taux de naissances, c’est la même chose, c’est la même population, pratiquement, ce sont les mêmes civilisations. Je veux vous dire que les faux médicaments ont été introduits en Guinée volontairement, machiavéliquement, pour décimer la population.
Conakry Infos : Quel est l’impact de la vente des faux médicaments sur la santé de la population guinéenne ?
Les faux médicaments tuent plus que le sida. Aujourd’hui. Quand vous allez à l’hôpital Donka, 80 à 85 % de nos parents qui souffrent d’insuffisance rénale chronique, ce sont les faux médicaments. Même un faux médicament ou quelque médicament que ce soit, tout médicament est un poison potentiel, même si le principe actif est bien, il est bien emballé, il est bien conservé, il est bien indiqué, c’est un poison potentiel, parce que si vous devez prendre par exemple 2 comprimés de paracétamol le matin, 2 à midi, 2 le soir, ou vous prenez 4 le matin, 4 à midi et 4 le soir, immédiatement, vous allez avoir un problème de santé, donc tout médicament est un poison potentiel, à plus forte raison les faux médicaments. En conclusion, l’impact des faux médicaments est désastreux .
Conakry Infos : est-ce que vous êtes d’accord avec les moyens utilisés par l’État pour lutter contre les faux médicaments ?
Vous voyez qu’une des raisons du départ du ministre Pèthè du département de la santé est effectivement ces faux médicaments. Vous savez qu’il y a deux ans, le gouvernement est monté sur ses grands chevaux à travers ce même ministre pour essayer d’éradiquer l’affaire des faux médicaments et favoriser puis assurer l’importation des bons médicaments à prix bien abordable, en réduisant le nombre de personnes habilitées à commander les médicaments, le nombre de grossistes.
Au temps de pèthè, on a réussi à réduire le nombre de grossistes qui était de 100 de voir 200 à seulement 5 ça, c’était une grande avancée, mais on a remarqué également que les pharmacies clandestines avaient disparu, ça, c’était au début quand pèthè est venu, mais au fil du temps, il a été happé par le système et au mois de novembre passé, vous avez vu la descente de la police dans le marché de madina, où, encore la vente des médicaments avait repris de plus belle dans les conteneurs surchauffés, ça été l’une des raisons qui a poussé pèthè à la porte de sortie. Donc il faut que nous comprenions que ce fléau nous touche tous , parce que celui qui est à Conakry a probablement son père, sa mère, sa tante ou son ami d’enfance au village, et qui va acheter les médicaments au marché hebdomadaire. C’est du poison. Alors, j’appelle sérieusement les Guinéens à aider le nouveau Ministre Bah à lutter farouchement contre les faux médicaments. Lui doit veiller à l’approvisionnement important des médicaments de grande qualité, à moindre coût et repartis sur toute l’étendue du territoire national. Il ne faut pas oublier que dans tous les coins de la Guinée des postes de santé, des centres de santé existent et nous avons suffisamment de médecins formés, suffisamment de jeunes pharmaciens capables et disposés d’aller partout où besoin sera pouvant servir la population en médicaments de bonne qualité.
Conakry Infos : vous ne pensez pas que l’État à sa part de responsabilité dans la rentrée de ces médicaments sur le territoire guinéen ?
Évidemment, il n’y a pas mille coupables, c’est l’État qui est coupable, parce que c’est l’Etat qui a la responsabilité de protéger la population et c’est l’État qui a le contrôle sur l’étendue des 245.857 km2 de la République de Guinée. Rien ne rentre ni par la mer, ni par l’espace aérien, ni par les frontières terrestres, sans que l’État ne sache. Aucune usine ne peut fabriquer quoi que ce soit ici sans que l’État ne soit au courant, c’est la raison pour laquelle l’État a trouvé son coupable et il a frappé pour donner l’exemple.
L’État connaît bien sa responsabilité et c’est pour cette raison que la justice est là. Pour prouver que c’est l’État et il va donner la justification au peuple de Guinée, quand l’heure de la gloire sonnera. Tous ceux qui sont en train d’enfreindre cette règle, s’ils ne sont pas autorisés, ils sont en train de passer devant la justice.
Conakry Infos : Nous voyons aussi dans certains quartiers cette prolifération des cliniques clandestines par rapport à cela. Qu’est-ce qu’il faut faire pour lutter contre ce fléau ?
N’est pas médecin qui le veut, n’est pas pharmacien qui le veut, les études de médecine sont les études les plus longues de l’université, parce que quand vous avez le baccalauréat, il faut au minimum 6 ans pour avoir votre diplôme de docteur en médecine, alors que pour toutes les autres branches, c’est 4 ans, 5 ans et quand vous finissez les 6 ans, il faut au minimum encore 3 ans pour avoir votre spécialisation. En Guinée nous en avons beaucoup, mais le problème qu’il y a ! C’est quoi ? C’est que les infrastructures hospitalières ne sont pas dignes de nom dans notre pays, et le programme d’emplois des médecins n’est pas réglementé, il n’y a pas de temps de carrière, il y beaucoup de jeunes qui ont fini d’étudier, ils ont leur diplôme mais ils ne sont pas embauchés alors qu’est-ce qu’ils font ? Ils vont ouvrir des cliniques clandestines et avec eux y a d’autres petits malins qui profitent, qui se disent docteur parce qu’ils ont été agents ou parce qu’ils portent la blouse blanche, ils ont fréquenté des centres médicaux , qui se disent docteur et ils ouvrent les cliniques de manière frauduleuse alors c’est ce qui fait beaucoup de dégâts. Il faut une fois de plus comme Pèthè avait commencé, malheureusement il a baissé les bras et cette fois ci Bah qui est venu ne baisse plus les bras et qui lutte contre toutes ces cliniques non agréées et d’ailleurs où on ne trouve pas des médecins qualifiés parce que ce sont des mouroirs.
Comme vous le savez, en Guinée, quand quelqu’un meurt, on dit c’est Dieu, nous sommes fatalistes, on ne cherche pas à savoir pourquoi généralement, alors c’est la même manière que les pharmacies clandestines sont interdites, les cliniques privées non agréées sont interdites, il faut les éradiquer et le gouvernement doit faire tout pour construire beaucoup de centres de santé, beaucoup de poste de santé et beaucoup de CHU dans les différentes villes.
Il faut que toutes les communes de Conakry aient au minimum 2 à 3 centres hospitaliers pour que les gens puissent se déplacer, ne pas attendre maintenant pour aller à Donka ou à aller à Ignace Deen pour recevoir de bons soins, c’est ce qu’il faut.
Conakry Infos : est-ce que la Guinée à ce jour est suffisamment dotée en personnel médical ?
La Guinée est suffisamment dotée de personnel médical qualifié, ce qui manque, ce sont les infrastructures et le plateau technique. les médecins guinéens ont fait leur preuve un peu partout, vous savez c’est les médecins guinéens qui ont formé beaucoup de jeunes médecins les Sao tomé et principe , beaucoup de jeunes médecins venus de l’Angola, de la Guinée Bissau ,venus même des pays comme le Bénin , le Cameroun qu’on rencontre un peu partout ici , aujourd’hui y a même des pays Maghrébins qui envoient leurs étudiants pour leurs former à l’université Gamal Abdel Nasser et Koffi Annan en médecine, c’est pour vous dire que nous avons des ressources humaines qualifiées, en 65 ans la Guinée a suffisamment de bons médecins, des grands spécialistes, malheureusement qui sont tous basés à Conakry, parce qu’à l’intérieur les conditions ne sont pas réunies pour les envoyer travailler correctement , c’est pas, par manque de ressources humaines, c’est par manque d’infrastructures et les conditions de travail notamment le plateau technique.
Conakry Infos: quelle invitation faites vous à la population et aux autorités guinéennes ?
Tous les Guinéens, nous devons lutter contre les faux médicaments, surtout nous qui sommes intellectuels, nous qui connaissons la portée des faux médicaments, nous qui connaissons les dangers des faux médicaments. Nos parents à l’intérieur ne connaissent pas, il le voit, il l’achète, même à ces étalagistes, alors que ça ne soigne pas, au contraire, ça aggrave leur situation. Donc, moi, je me dis, comme j’ai été président de la commission de santé de l’Assemblée nationale pendant 6 ans, je me suis battu corps et âme contre ces faux médicaments avec l’appui du premier pharmacien Dr Manizé Kolié.
Aujourd’hui nous avons un nouveau ministre qui est un pharmacien qui connaît bien les dangers des faux médicaments, aidons le tous, donnons nous tous la main pour lutter contre les faux médicaments en faisant comprendre à nos parents que ceux qui vendent les faux médicaments sont des criminels inconscients qui ne connaissent pas leur danger, il faut que cela cesse.
Merci Dr Ben Youssouf Keita!
Interview réalisée par Mamadou Samba Barry
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