Les députés sénégalais examinent lundi un texte controversé qui permettrait de reporter la présidentielle et qui a causé de nouveaux heurts à l’extérieur de l’Assemblée nationale transformée en citadelle par la présence policière.
Au sein de l’hémicycle, les débats se tiennent dans une atmosphère électrique. Des députés en sont venus aux mains, conduisant à une interruption de séance en début d’après-midi.
Autour du Parlement, les gendarmes ont repoussé avec des gaz lacrymogènes les tentatives de rassemblement à l’appel de l’opposition. De petits groupes se sont repliés plus loin en scandant « Macky Sall dictateur ».
Les parlementaires doivent se prononcer lundi sur un rapport adopté la veille en commission préparatoire et proposant de repousser la présidentielle de six mois ou même un an, selon le contenu de ce texte distribué en séance et soutenu par le camp présidentiel.
L’approbation requiert une majorité des trois cinquièmes des 165 députés. Elle n’est pas acquise.
« Ne soyons pas l’Assemblée de la honte. Faisons en sorte quand on sortira d’ici qu’on puisse regarder nos enfants avec fierté pour dire que nous avons été le dernier mur », a déclaré Abass Fall, un député de l’opposition.
« Le président Macky Sall avait dit qu’il ferait deux mandats. Il a respecté sa parole », estime Moussa Diakhaté, président de la commission des lois, pro-gouvernemental.
Internet coupé
Le quartier du Plateau a offert le spectacle rarissime de protestataires en petit nombre jouant au chat et à la souris avec les forces de sécurité parmi les Dakarois vaquant à leurs activités autour de l’Assemblée placée sous la protection de dizaines de gendarmes et policiers appuyés par des véhicules lourds.
« L’essentiel pour moi est de dire non à cet agenda politique, ce coup de force pour essayer de rester au pouvoir », a dit l’un des manifestants, Malick Diouf, 37 ans.
Le Sénégal est en proie à de vives tensions depuis que le président Sall a annoncé samedi, quelques heures avant l’ouverture de la campagne, le report de la présidentielle prévue le 25 février.
Cette décision dénoncée avec virulence par ses détracteurs comme un « coup d’Etat constitutionnel » plonge le pays dans l’inconnu et fait craindre une ébullition. Elle a causé un tollé parmi les candidats qualifiés et dans la société civile.
Elle a donné lieu à de premiers rassemblements réprimés dimanche et à de premières interpellations, dont celles de la candidate Anta Babacar Ngom et de l’ancienne Première ministre Aminata Touré, finalement relâchées.
L’internet des données mobiles a été coupé. Le ministère des Télécommunications a invoqué la diffusion de « messages haineux et subversifs » sur les réseaux sociaux.
Le gouvernement avait déjà suspendu l’accès en juin 2023, dans un contexte de crise politique.
Partenaires internationaux inquiets
Adoption ou rejet, la situation, sans précédent dans un pays qui a régulièrement élu ses présidents et n’a jamais connu de coup d’Etat, une rareté sur le continent, demeurera hautement volatile.
Elle suscite l’inquiétude à l’étranger. La Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine, les Etats-Unis, l’Union européenne, la France et le Royaume-Uni, partenaires importants du Sénégal, ont demandé de travailler à une nouvelle date, et ont appelé au dialogue entre les acteurs de la crise.
Celle-ci fait redouter au Sénégal un nouvel accès de fièvre comme ceux qu’il a connus en mars 2021 et juin 2023, qui ont causé des dizaines de morts et donné lieu à des centaines d’arrestations.
Le flou maintenu pendant des mois par le président Sall sur une nouvelle candidature en 2024 avait contribué aux crispations à l’époque. Il avait finalement annoncé en juillet 2023 qu’il ne briguerait pas un nouveau mandat.
Malgré une indignation largement partagée sur les réseaux sociaux, la protestation contre le report de la présidentielle n’a pas gagné massivement les rues. L’université de Dakar, haut lieu historique de contestation, est fermée depuis les troubles de 2023, et le parti antisystème Pastef a été éprouvé par les arrestations.
L’opposition dénonce cependant une dérive autoritaire du pouvoir. Avec l’ajournement de la présidentielle, elle soupçonne un plan pour éviter la défaite inévitable selon elle du camp présidentiel, voire pour prolonger la présidence Macky Sall, malgré l’engagement réitéré samedi par ce dernier de ne pas se représenter.