» [dropcap]I[/dropcap]ls ont tellement menti, Ebola est sous contrôle, Ebola c’est fini, Ebola c’est du passé »: un médecin du plus grand hôpital de Conakry est en colère et estime que ces déclarations rassurantes des dirigeants guinéens ont joué un rôle dans la résurgence de l’épidémie.
A l’hôpital Donka, ce médecin qui ne donne que son prénom, Alphadio, voit affluer chaque jour de nouveaux cas de fièvre hémorragique virale en grande partie provoqués par la propagation d’Ebola, un virus hautement contagieux et mortel, pour lequel il n’existe aucun remède ni vaccin.
Selon les derniers chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) datant de mardi, l’épidémie de fièvre hémorragique déclarée en janvier a tué 270 personnes en Guinée, 66 en Sierra Leone et 34 au Liberia, deux pays frontaliers de la Guinée.
« Pour le moment, la situation est bien maîtrisée et nous touchons du bois pour qu’il n’y ait pas de nouveaux cas », avait affirmé fin avril le président guinéen Alpha Condé au siège de l’OMS à Genève. A l’époque, l’épidémie avait fait moins de cent morts.
Beaucoup de « bruit autour de l’Ebola »
Quelques jours plus tard, lors d’une réunion de chefs d’Etat de la région à Conakry, Alpha Condé les avait remerciés d’être venus dans son pays « malgré tout le bruit fait autour de l’Ebola ».
Ce « bruit » vient notamment de Médecins sans frontières (MSF), très active sur le terrain depuis l’apparition de l’épidémie, qui a estimé lundi qu’avec 60 foyers actifs en Guinée, elle devenait « hors de contrôle ».
En réponse, le président Condé a demandé « des comptes » à MSF et aux autres organisations internationales présentes dans son pays.
« Si nous avons des défauts d’insuffisance, il faut dire aussi à nos partenaires que tout n’est pas parfait dans leur comportement. On vous a donné de l’argent, on ne sait pas ce qui se passe » avec, a-t-il affirmé.
« Par la faute de nos dirigeants. qu’ils le veuillent ou non, la maladie s’est propagée à l’intérieur du pays », estime le Dr Alphadio, ajoutant: « Ils ont tellement menti que nos partenaires et même les populations ont à un certain moment baissé les bras. Voilà le résultat, l’épidémie prospère partout dans le pays ».
Selon un autre médecin à Donka, Kankou Marah, « nous savons tous aujourd’hui que le gouvernement a le souci de préserver ses intérêts et éviter de dire la vérité à la population au risque de chasser les investisseurs ».
Thierno Ousmane Camara, imam, une fonction très respectée en Guinée musulmane, demande « au président de ne pas minimiser cette maladie qui continue malheureusement d’endeuiller des familles ».
Un journaliste de l’AFP a constaté qu’à Conakry, il n’y avait plus de campagne d’information, ni à la radio, ni à la télévision, ni dans les rues. Dans les gares routières, au port et à l’aéroport, les contrôles sont réduits au strict minimum, voire inexistants.
Les rares et dérisoires mesures « de prévention » sont prises individuellement, comme par exemple des seaux d’eau de javel déposés à l’entrée des restaurants populaires pour se désinfecter les mains.
« Tout le monde a peur, personne ne se protège »
Selon Mamadou Dian Sidibé, commerçant, il n’y a pas plus de vigilance à la frontière avec le Liberia. « J’en reviens, tout le monde a peur, mais personne ne se protège, je n’ai pas vu un seul agent de la santé qui parle » de la façon d’éviter la propagation. « La situation est grave entre la Guinée et le Liberia », dit-il.
Dans la capitale libérienne Monrovia, la colère contre l’inertie du gouvernement est la même qu’à Conakry.
« Admettons que cette affaire d’Ebola soit vraie, que fait le ministère de la Santé pour sensibiliser la population qui, pour la plupart, est illettrée? Rien », s’emporte Magdel Sneh, 38 ans, secrétaire de direction.
Tout comme à Conakry, pas de campagne de sensibilisation, pas de mesures spécifiques, hormis des chambres d’isolement dans les hôpitaux pour les cas suspects ou avérés.
« Nous n’avons pas de budget pour faire de vastes campagnes de sensibilisation « , a affirmé à l’AFP un responsable libérien de la santé sous couvert d’anonymat.
A New Kru Town, considéré comme le plus grand foyer d’Ebola dans la province de Montserado où se trouve Monrovia, la population continue de vivre comme si l’épidémie n’existait pas.
Peter Jleh l’explique: « Nous sommes Africains, nous avons l’habitude de vivre en communauté et nous allons continuer de vivre en communauté, de se serrer la main en bons Africains et de manger ensemble en bons Africains. Pas la peine de nous effrayer ».
Afp