Élevage : le ministre a-t-il pris position dans la crise du secteur avicole ? (Enquête)

Depuis plusieurs mois maintenant, le secteur de l’aviculture connait une crise sans précédent et qui risque d’impacter la population guinéenne. Cette crise se situe entre les deux groupes d’acteurs influents dans l’élevage de volailles en Guinée, il s’agit là d’un côté des accouveurs et de l’autre des importateurs de poussins d’un jour.

Chacun défend sa position dans cette affaire, pour les accouveurs locaux, il est nécessaire de surtaxer, voire d’interdire complètement toute activité d’importation de poussin en Guinée. Selon eux, cette demande consisterait à protéger et encourager la production locale.

« Cette demande est faite parce que nous, accouveurs, on est conscient qu’on est dans une activité stratégique, parce que c’est pour une sécurité alimentaire. Aujourd’hui, on ne peut pas parler de production de volailles sans qu’il n’y ait de couvoirs, de production locale, on va dire » a soutenu Mamadou Baïlo Baldé président des accouveurs de Guinée.

Selon, toujours c responsable des accouveurs locaux, cette interdiction contribuerait à développer l’aviculture en Guinée et à la sortir de la dépendance occidentale : « quand nous producteurs locaux, on n’est pas en sécurité, si nous, on ferme, le développement de ce secteur est mort et on ne parlera pas d’aviculture en Guinée. Parce que personne ne vous dira que l’importation peut développer ce secteur. Les pays d’où viennent ces poussins sont de l’Europe, je pense que chaque pays essaye de voir la réalité. La Covid a fait son jeu, on l’a tous vue, et ce sont ces couvoirs locaux qui ont permis à la Guinée de garder le cap, il n’y a pas eu de pénurie d’œufs, ni de poulets. Pour nous, il est important que ces couvoirs continuent à produire, garder cette sécurité, essayé de les développer pour que demain que la Guinée ne compte pas sur un autre pays pour se nourrir en termes de viande de volailles » a martelé M. Baldé.

 

 

Par contre, les importateurs quant à eux soutiennent que cette demande d’interdiction n’a rien à avoir avec une sécurité alimentaire que les accouveurs mettent en avant, mais plutôt à une prétention d’avoir une main mise sur les activités de la production d’œufs et de poules pondeuses.

« Ils (les accouveurs locaux) veulent s’accaparer de toutes les activités de l’aviculture, c’est-à-dire : l’accouvage, la production de poules pondeuses et de poulets chaires, mais aussi, nous savons qu’ils sont dans la production d’aliment de volailles » a dit Boubacar Diallo, fabriquant d’aliment de volailles et producteur d’œufs.

 

 

Plus loin, les fermiers disent ne plus avoir confiance à la production locale de poussins puisqu’ils ont perdu toute leur économie quand ils ont décidé d’expérimenter celle guinéenne : « Je suis confronté à deux situations, c’est pourquoi vous avez trouvé que tout est vide. La première, c’est grippe aviaire depuis juin 2022 qui a décimé, nos poules jusqu’à présent, il n’y a pas de suite. Après cela, j’ai amené des poussins locaux, des coquelets en décembre 2022, que je comptais élever pour me relancer un peu juste après la fête de ramadan, j’ai amené 1500 poussins, mais malheureusement, je n’ai pas pu vendre que dix parce que tout est mort juste après trois mois. Depuis que j’ai évacué cette bande, je me suis dit d’attendre parce que je ne peux pas continuer à investir dans les poussins produits localement et perdre, j’ai perdu deux fois et j’attends maintenant. Les poussins locaux, c’était ma première expérience et je ne souhaite plus la renouveler. Depuis que j’ai commencé à importer, même avec la bande que la grippe aviaire a décimée, j’avais de bons résultats. Mais avec les poussins locaux, j’ai perdu plus de 50 millions GNF d’investissement. C’est pourquoi les hangars sont vides et je ne souhaite pas renouveler cette expérience » s’est exprimé Alpha Oumar Diallo éleveur depuis plus de sept ans.

Sur la question liée au soutien présumé du ministre de l’élevage Mamoudou Nagnalen Barry aux accouveurs locaux, le président de ce groupe qui ne souhaite pas voir de poussins importés en Guinée rejette en bloc tout acte du ministre qui montrerait son soutien à leur association, ou encore qu’ils n’auraient pas d’expérience dans la production de poules pondeuses. Pour ce n’est qu’un acte d’intérêt personnel que les importateurs font : « Je m’inscris en faux, parce que quand ils disent qu’on n’a pas d’expérience, et parmi les importateurs, souvent ce sont des nouveaux. Nous, avant d’être producteurs, on était des importateurs, parmi nous, il y en a qui ont importé plus de 25 ans, 30 ans. En termes de production, moi qui vous parle, c’est une activité que j’ai effectuée depuis l’Europe, l’accouvage, je continue à vendre des œufs accouvés. Et aujourd’hui, si on nous dit qu’on ne maitrise pas, ce n’est quasi pas vrai. Souvent, ils accusent les poussins en disant que ce n’est pas de qualité. Ils ne peuvent le prouver, quand vous les poser la question de savoir qu’est-ce qu’un poussin de qualité, ils seront incapables de vous répondre. Comme je vous ai partagé le rapport de l’AFD et le ministère de l’Agriculture qui ont envoyé l’expertise France pour faire une expertise dans toutes ces usines guinéennes, les rapports sortent que tous les couvoirs répondent aux normes internationales. Ce sont les mêmes produits qui sortent en France, en Belgique et en Hollande. Dire qu’on n’a pas la compétence, c’est de se moquer de la Guinée » s’est défendu le président des accouveurs.

 

 

Contrairement à ce que les accouveurs de Guinée ont dit, le ministre Nagnalen Barry a exprimé sous soutien aux producteurs locaux de poussins dans l’émission ‘’On refait le monde’’ de nos confrères de Djoma TV. Il estime que les importateurs sont dans la logique de dénigrer les accouveurs de Guinée. C’est pourquoi il ne souhaite pas signer les autorisations sur les importations de poussins d’un jour : « C’est la grande bataille que je suis en train de mener aujourd’hui, il y a déjà des journalistes qui m’ont contacté pour aider ces éleveurs-là à importer. Moi, je suis du côté des couvoirs, ma position est assumée, je veux qu’on réduise les importations de poussins en Guinée. Voire arrêter carrément. Il y a deux camps qui se battent, les importateurs qui sont des commerçants qui, aujourd’hui, ont profité d’une crise qui s’est passée il y a six ans pour diaboliser, dénigrer couvoir locaux. Et aujourd’hui beaucoup de gens n’ont pas confiance aux couvoirs locaux, ils pensent que les poussins ne sont pas de qualité, que si tu investis en ceux-là, tu vas perdre. Moi, je ne crois pas en cela » s’est assumé le ministre de l’élevage.

Plus loin, le ministre Mamoudou Nagnalen a exprimé sa volonté de pousser les éleveurs à se diriger vers les couvoirs locaux par son refus de signer les autorisations d’importation de poussins.

« C’est le ministère de l’Agriculture et de l’élevage qui autorise les importations, ces derniers temps, j’ai ramené les autorisations à mon niveau et j’en signe de moins en moins. J’ai exprimé très clairement que je n’ai pas envie d’en signer. Là où je suis-je n’ai pas envie de signer ces autorisations, je veux que les gens achètent dans les couvoirs d’ici » a continué le ministre de l’élevage.

Enfin, les importateurs pensent cette décision du ministre Mamoudou Nagnalen Barry exprime clairement son envie de diriger les fonds qui sont prévus par la banque mondial et le gouvernement de la transition pour dédommager les victimes de la grippe aviaire de 2022 vers les accouveurs locaux.

 

Ibrahima Sory Soumah et Bintou Fofana

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