[dropcap]T[/dropcap]rès silencieuse depuis le début de la crise au Burkina Faso, la France est sortie de sa réserve dans la nuit de lundi à mardi en exigeant un transfert rapide du pouvoir aux civils et en affirmant avoir joué un rôle indirect dans le départ « sans drame » de son vieil allié Blaise Compaoré.
En marge d’un déplacement au Canada, le président français François Hollande, qui avait salué vendredi le départ du président Compaoré mais ne s’était pas exprimé sur la prise du pouvoir par un militaire burkinabè, le lieutenant-colonel Isaac Zida, a réclamé un transfert du pouvoir aux civils « dans les prochaines heures ».
Le nouvel homme fort du Burkina Faso avait promis quelques heures auparavant une transition « dans un cadre constitutionnel », laissant entrevoir un passage de flambeau aux autorités civiles.
M. Hollande a également affirmé, sans détailler, que la France avait fait en sorte que « l’évacuation de Blaise Compaoré puisse se faire sans drame » mais « sans y participer » elle-même. L’ancien président est réfugié depuis vendredi en Côte d’Ivoire.
« Dès le début de cette crise, la France a joué son rôle et mis en garde » Blaise Compaoré, a déclaré M. Hollande, en soulignant lui avoir conseillé par écrit « de ne pas engager (…) la révision de la Constitution » pour se maintenir au pouvoir après 27 ans de règne.
Après les premières manifestations populaires et la dégradation de la situation la semaine dernière, « j’ai fait une déclaration (vendredi) demandant à Blaise Compaoré de prendre les bonnes décisions, c’est-à-dire de partir. C’est ce qu’il a fait dans les heures qui ont suivi », a encore déclaré M. Hollande.
Jusqu’à présent, Paris était resté très discret publiquement sur la crise dans son ancienne colonie, contrairement à Washington, autre allié privilégié du Burkina Faso, qui a réclamé dès dimanche un retour du pouvoir aux civils.
Conformément à sa volonté officielle de privilégier des « solutions africaines », la France souhaitait notamment laisser d’abord s’exprimer l’Union Africaine (UA). Celle-ci a donné lundi deux semaines au Burkina pour un retour à un pouvoir civil.
– Sauvegarde des intérêts et non-ingérence –
« Les institutions africaines doivent montrer les dents. C’est aux Africains de s’exprimer, pas à nous », indiquait récemment un diplomate, résumant la nouvelle « doctrine » française après l’acte officiel de décès de la Françafrique, ce réseau d’influences et d’affaires entre Paris et ses ex-colonies, proclamé par le socialiste François Hollande à son arrivée au pouvoir en 2012.
Blaise Compaoré, chassé par un mouvement populaire massif contre ses tentatives de rester au pouvoir après 27 ans de règne, était l’un des piliers de la Françafrique.
« Blaise (Compaoré) faisait partie des chefs d’Etat proches de la France, il a joué un rôle très important dans les médiations de conflits en Afrique de l’Ouest (notamment dans la crise ivoirienne) et a rendu beaucoup de services notamment pour des libérations d’otages », rappelle l’expert indépendant ouest-africain Gilles Yabi.
« Ce n’était certainement pas un paria de la communauté internationale, bien au contraire. Pour autant, la France comme les Etats-Unis avaient assez clairement donné le signal qu’ils ne le soutiendraient pas » s’il s’obstinait à vouloir rester au pouvoir, ajoute-t-il.
La France ne choisit pas de camp au Burkina Faso, insiste-t-on à Paris, même si le rôle de l’ambassadeur français sur place, Gilles Thibault, diplomate atypique au passé militaire, est mis en avant. « Il joue un grand rôle » et « connaît tous les acteurs de la crise », fait-on valoir dans l’entourage de François Hollande.
« Notre ligne est de trouver un équilibre entre notre implication, évidente compte tenu de l’Histoire et de nos intérêts sur place, et la non-ingérence », indique une source française.
Quelque 3.500 Français résident au Burkina Faso – la plus importante communauté étrangère dans ce pays -, une quarantaine de filiales d’entreprises françaises y sont présentes dans la plupart des secteurs de l’économie, et Paris est son principal bailleur de fonds.
En outre, le Burkina est une pièce importante dans le dispositif Barkhane de lutte antiterroriste au Sahel. La France dispose d’une centaine d’hommes des forces spéciales, dotés d’hélicoptères, sur le sol burkinabè. Actuellement, « il n’y a plus que quelques militaires » au Burkina Faso, la majeure partie des troupes qui y sont déployées étant engagée dans de « grosses opérations » au Mali contre des jihadistes, selon une source diplomatique française.
En dépit de ses multiples intérêts, « je ne pense pas que la France soit encore à la manoeuvre au Burkina, ce n’est pas elle qui a les clés et les ressorts », juge toutefois le spécialiste de l’Afrique Antoine Glaser. Selon lui, Paris n’a pas vu venir la crise ni pris la mesure des désirs de changement de la société civile et de la jeunesse africaines.
« Pour certains en France, notamment chez les militaires, des chefs d’Etat comme Compaoré, Sassou N’guesso (Congo) et Idriss Deby (Tchad) sont toujours considérés comme des piliers de la stabilité régionale », déplore-t-il.
AFP