Burkina Faso : le nouvel homme fort du pays déjà contesté par l’opposition

[dropcap]L[/dropcap]e nouvel homme fort de la transition au Burkina Faso, le lieutenant-colonel Isaac Zida, adoubé samedi matin par l’armée, était déjà contesté dans la soirée par l’opposition et la société civile qui appellent à une démonstration de force dimanche.

 

Fer de lance d’une contestation inédite qui a chassé du pouvoir Blaise Compaoré après 27 ans de règne, les « forces vives » du petit pays sahélien ont refusé une « confiscation » du pouvoir par l’armée et appelé à un nouveau rassemblement dimanche à 08H00 sur la place de la Nation, à Ouagadougou.

« La victoire issue de l’insurrection populaire appartient au peuple, et par conséquent la gestion de la transition lui appartient légitimement et ne saurait être en aucun cas confisquée par l’armée », ont-elles écrit dans un communiqué, dans lequel elles ont souligné « le caractère démocratique et civil que doit avoir cette transition ».

De son côté, l’Union africaine (UA) a exhorté dans la soirée « les acteurs politiques et la société civile du Burkina Faso à travailler ensemble (…) pour convenir d’une transition civile et inclusive devant déboucher sur la tenue, aussi rapidement que possible, d’élections libres ».

Après deux jours d’un soulèvement populaire qui a fait une trentaine de morts et une centaine de blessés selon l’opposition, Blaise Compaoré s’est réfugié avec sa famille et ses proches à Yamoussoukro, en Côte d’Ivoire, dans une résidence d’Etat pour les hôtes étrangers.

Malgré un climat politique toujours tendu, le calme était revenu samedi dans les grandes villes du pays, théâtres de débordements et pillages.

A l’appel du Balai citoyen, une organisation de jeunesse en pointe dans la mobilisation, des groupes de jeunes ont nettoyé les rues de Ouagadougou, jonchées de débris, carcasses et pneus brûlés.

A Bobo Dioulasso, la deuxième ville du pays, les petits commerces, les cafés et les restaurants de rues ont rouverts leurs portes.

A la mi-journée, les hauts gradés réunis à l’état-major avaient tranché en faveur du lieutenant-colonel Isaac Zida, 49 ans, ex-numéro 2 de la garde présidentielle qui se disputait le pouvoir avec le chef d’état-major des armées, le général Nabéré Honoré Traoré.

« Le lieutenant-colonel Isaac Zida a été retenu à l’unanimité pour conduire la période de transition » par « la haute hiérarchie », avait déclaré à la presse le chef d’état-major adjoint des armées, le général Wenceslas Pingrinoma Zagré.

Après la fuite du président Compaoré, MM. Zida et Traoré avaient tous deux affirmé vendredi assumer les responsabilités de « chef de l’Etat », mais ce dernier a semblé s’incliner en paraphant le communiqué diffusé samedi.

Le document est resté flou sur la suite: « La forme et la durée » de « cette période de transition (…) seront déterminées ultérieurement », mais elle se fera « de concert avec les composantes de la vie nationale », c’est-à-dire l’opposition politique et la société civile, comme l’avait déjà précédemment assuré M. Zida.

Cette prise de pouvoir militaire va à l’encontre de la Constitution burkinabè, suspendue par Isaac Zida, selon laquelle le président de l’Assemblée doit assurer l’intérim.

« On est encore dans une période grise. On ne connaît pas bien ces officiers. On ne sait pas encore qui roule pour qui, leurs allégeances », jugeait samedi un observateur de la politique régionale.

Les partenaires du Burkina – France, Etats-Unis, Union européenne – ont exprimé leur attachement à une transition conforme à la légalité constitutionnelle.

Les frontières terrestres restaient fermées, mais le lieutenant-colonel Zida a annoncé dans l’après-midi la réouverture des frontières aériennes. Quant au couvre-feu, il reste en vigueur de 22H00 (contre 19H00 auparavant) à 06H00.

De nombreux Burkinabè espéraient une clarification rapide de la situation politique.

« On est confus comme tout le monde, on attend maintenant un éclaircissement », a expliqué un habitant de Bobo Dioulasso, Guénolé Sanou, 32 ans. « Je veux un président civil, qui nous garantisse la paix et qui respecte la Constitution ».

Pour Claude Sanou, 28 ans, l’important est que « la paix reste au pays, que ce soit un civil ou un militaire ».

Blaise Compaoré, 63 ans, était arrivé en 1987 au pouvoir par un coup d’Etat marqué par l’assassinat de Thomas Sankara, icône du panafricanisme.

Sa volonté de réviser la Constitution pour lui permettre d’être une nouvelle fois candidat à la présidentielle de 2015 l’a finalement perdu: les manifestations historiques de mardi ont poussé des centaines de milliers de personnes dans les rues de la capitale.

Le maintien du vote de révision jeudi au Parlement pour modifier la loi fondamentale, malgré la protestation populaire, a littéralement embrasé le Burkina Faso.

Assemblée nationale incendiée, télévision publique prise d’assaut, violences en province: Blaise Compaoré a dû démissionner un an avant l’échéance de son dernier mandat.

Sa chute représente un avertissement pour les présidents africains tentés, comme lui, de retoucher leur Constitution. Quatre pays – République démocratique du Congo, Burundi, Congo Brazzaville, Bénin – envisageaient des révisions similaires.

AFP