[dropcap]L[/dropcap]e Premier ministre burkinabè Isaac Zida a annoncé samedi la nationalisation d’une entreprise appartenant au clan de l’ex-président Blaise Compaoré, affichant la volonté des autorités intérimaires de lutter contre l’impunité, à l’occasion du 16e anniversaire de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo.
« C’est le patrimoine du peuple et nous allons le retirer pour le peuple », a lancé M. Zida, s’attirant un tonnerre d’applaudissements au sein de la foule réunie à Ouagadougou afin de réclamer « justice » pour le journaliste Norbert Zongo, tué il y a 16 ans jour pour jour.
Créée dans les années 1980 dans le cadre d’un vaste programme immobilier, la Socogib, alors en situation de monopole dans ce secteur lucratif, a été cédée pour « 1 franc symbolique » dans les années 90 à Alizèta Ouédraogo, une intime du clan Compaoré. Surnommée la « belle-mère nationale » parce que sa fille Salah était mariée à François Compaoré, le frère cadet de l’ex-président, Mme Ouédraogo est passée en 27 ans de règne de Blaise Compaoré du statut de secrétaire et petite commerçante à celui de femme la plus riche et la plus puissante du Burkina.
Alizèta Ouédraogo, désormais réfugiée en France, incarne le népotisme tant dénoncé par la rue qui a renversé Blaise Compaoré le 31 octobre. François Compaoré était quant à lui nommé « le petit président » pour la mainmise qu’il exerçait sur les affaires politiques et économiques du pays. Il est surtout l’homme sur lequel enquêtait Norbert Zongo quand son corps calciné fut retrouvé avec les dépouilles de trois de ses camarades le 13 décembre 1998 à Sapouy, à une centaine de kilomètres de Ouagadougou.
Le journaliste qualifié d' »incorruptible » recherchait les meurtriers de David Ouédraogo, le chauffeur de François Compaoré. Ce dernier avait un temps été inculpé « de meurtre et recel de cadavre », avant que les poursuites ne s’arrêtent. L’affaire incarne les dérives les plus graves du régime du président Compaoré. Aucune condamnation n’a jamais été prononcée malgré des années de procédure.
« Seize ans, c’est trop »
« Je demande que les commanditaires soient arrêtés et jugés à la hauteur de leurs forfaits », a lancé la veuve Geneviève Zongo devant les manifestants. Assassins et commanditaires « sont connus. On pouvait bien les arrêter. Mais pourquoi les a-t-on laissé partir ? « , a-t-elle dénoncé, faisant visiblement allusion à François Compaoré, réfugié au Bénin après la chute de son frère.
« Seize ans c’est trop ! » a déploré Mme Zongo, soulignant qu’elle attendait des « actes » de la part des autorités de la transition. « Justice sera rendue à tous ceux qui sont tombés sous les balles assassines du président Blaise Compaoré », lui a répondu le Premier ministre Zida lors d’une allocution improvisée.
Plus tôt dans la journée, le président du Collectif contre l’impunité, Chrysogome Zougmoré, venu se recueillir sur la tombe de Norbert Zongo avec une centaine de responsables associatifs et de parents du journaliste, avait indiqué qu’une « requête » serait transmise « dès la semaine prochaine » au procureur du Faso pour rouvrir l’affaire.
Des dizaines de documents ont été retrouvés il y a un mois lors du pillage de la luxueuse demeure de François Compaoré, dont une partie semblait liée au cas Zongo. Certains constituent des « éléments probants » indiquant que le frère de l’ex-président « est impliqué d’une manière ou d’une autre dans les crimes de Sapouy », a affirmé M. Zougmoré.
Le non-lieu prononcé en 2006 dans l’affaire Zongo a été qualifié jeudi par le président intérimaire du Burkina Michel Kafando d' »injustice notoire » et « flagrante ». « On ne peut pas passer ce forfait en pertes et profits », a-t-il tonné. Michel Kafando avait également dénoncé, dès son investiture, les « richesses inexpliquées », les « privilèges indus » et les « avantages oligarchiques » du régime déchu.
Conakryinfos avec AFP