[dropcap]A[/dropcap]près avoir fait la pluie et le beau temps dans les années 90, l’artiste-musicien Amara Sanoh, l’interprète du célèbre titre ‘’Lamarana’’, réalisé en duo avec le joueur de kora Prince Diabaté, vit aujourd’hui à Conakry l’un des moments les plus sombres de sa vie. Et pour cause !
Envoyés en tournée aux Etats-Unis en 1996 par Mme Rougui Barry ‘’RBB’’, Prince Diabaté et Amara Sanoh ont décidé d’y rester pour une aventure qui sourira au premier avant de devenir amère pour le second.
Tombé malade loin de ses parents, Amara Sanoh décide alors de retourner au pays qui va l’appauvrir davantage jusqu’à le jeter dans une vie de sans-abris. Manquant de tout. Dans cette interview qu’il nous a accordée en exclusivité, l’homme nous livre, pathétique, ses gloire et déboires d’une vie artistique qu’il ne désespère pas pour autant à « relancer ».
Conakryinfos : Après les temps de succès des années 90 avec l’album ‘’Lamarana’’ réalisé en duo avec Prince Diabaté, que devient Amara Sanoh ?
Amara Sanoh : Je vis toujours en Guinée. Mais j’ai vécu un moment donné aux Etats-Unis où j’étais parti en tournée en 1996 avec mon ami Prince Diabaté. Je suis et je resterai toujours un artiste avec la volonté de représenter la Guinée partout dans le monde. Mais malgré toute cette volonté, le manque de moyens et de soutien me poussent à vivre une vie que je n’ai jamais rêvée de connaitre un jour. Parce que faute de moyens et de soutien aujourd’hui, je ne fais pas la musique que j’ai tant aimée depuis l’enfance. Cette situation me pousse à être aux côtés de ma mère qui a installé derrière la clôture de l’hôpital Donka, une habitation de fortune (une baraque) dans laquelle nous avons élu domicile.
Comment êtes-vous venu dans la musique avec cette voix suave qui a tant marqué les mélomanes guinéens et étrangers dans les années 90 ?
Écoutez ! La musique a été un don naturel pour moi. Il parait que je chantais depuis que j’étais tout petit. Ma grand-mère qui vit toujours, m’a dit que j’aimais beaucoup chanter à l’enfance. Hormis ce talent naturel, le mouvement pionnier du temps du premier régime m’a aussi beaucoup aidé à aiguiser ce talent qui m’a permis d’avoir plein d’amis.
Même à l’école, j’étais un génie sur le plan de la musique. Vous savez, au temps de la Révolution, les samedis étaient des jours de réunion du corps enseignant. Ce qui laissait les classes libres avec les élèves. Donc, je passais de classe en classe pour animer avec des chansons que les filles adoraient beaucoup. Les grandes filles m’invitaient même parfois spécialement pour aller animer dans leur classe sous les ovations nourries.
Voilà comment je me suis retrouvé dans la musique qui m’a révélé à la Guinée grâce à notre groupe que mon ami Prince Diabaté et moi avons fondé.
J’ai connu Prince Diabaté à la SIG-Madina vers les années 90. A l’époque, il jouait très bien à la kora. Comme il jouait bien à cet instrument de musique, il m’a demandé de former un groupe avec lui où j’étais chanteur.
Heureusement pour nous, le coup d’essai a été un coup de maitre avec la sortie de l’album ‘’Lamarana’’ en 1996. A la même année, le succès de cet album nous a révélés à la Guinée et à l’étranger. Toujours en 1996, nous sommes partis en tournée aux États-Unis grâce à tantie Rougui Barry ‘’RBB’’. Une fois aux USA, nous avons décidé d’y rester. Ce qui fut fait. Et nous y avons vécu pendant un bon moment jusqu’à ce que je décide un jour de rentrer au pays sans le vouloir.
Je rappelle qu’avant notre succès de 1996 avec l’album Lamarana, nous avons eu la chance de représenter la Guinée à plusieurs festivals dont le MASA d’Abidjan où nous avons eu le contrat pour une tournée au Canada et aux États-Unis.
De votre séjour américain, comment l’idée de retourner au pays vous est venue dans la tête ?
J’ai pris la décision de retourner en Guinée quand je suis tombé malade aux États-Unis. C’est cette maladie qui m’a séparé de mon ami Prince Diabaté. Et je vous avoue que je me suis séparé de lui sans le vouloir.
Je me souviens : c’est à New Mexico que je suis tombé malade. Et cette maladie a commencé à se manifester par la toux qui m’emmerdait beaucoup. Au même moment, quand nous sommes allés à Los Angeles, j’ai demandé à mon ami Prince de me laisser y rester pour nous préparer le terrain, tandis que lui, devait retourner à Albuquerque.
Après notre concert à Los Angeles, Prince est donc retourné à Albuquerque et moi je suis resté à Los Angeles. Une ville que nous avons connue grâce à un ami du nom de Noah qui était un danseur et chorégraphe. A Los Angeles, c’est Noah qui m’a hébergé pour être en même temps mon tuteur.
A part la maladie, j’ai aussi décidé de rentrer au pays pour voir ma maman et mon fils, l’homonyme de mon père, qu’elle élevait.
Mais avec cette décision de rentrer au bercail, je n’avais pas les moyens. C’est ainsi que des amis ont fait une collecte d’argent pour m’acheter un billet d’avion pour Conakry où je continue de vivre une vie d’enfer que je n’ai jamais souhaitée.
Écoutez ! J’ai quitté les États-Unis malade après une hospitalisation prolongée dans un hôpital à Los Angeles. Mon ami Prince m’appelait souvent au téléphone pour me demander de lui indiquer l’hôpital afin qu’il me rende visite. Mais je lui disais toujours de ne pas s’inquiéter ou se déplacer pour venir me voir. Car, je commençais à me sentir bien. Quand on a dépisté cette maladie, les médecins m’ont déplacé pour me mettre en quarantaine dans un autre centre hospitalier un peu éloigné de Los Angeles pour des soins appropriés. Après ces soins, j’ai recouvré la santé avant de reprendre à vivre normalement aux États-Unis, loin de nos parents. Quand j’étais là-bas, mon père est décédé à mon absence sans voir son corps. Et je ne voulais pas que ma mère aussi meurt sans pouvoir voir son corps.
Ainsi, j’ai décidé un jour de rentrer au pays. Comme je n’avais pas de moyens, les amis ont fait une collecte de fonds pour m’aider à avoir un billet d’avion pour Conakry. C’est comme cela que je suis retourné en Guinée avant de réaliser après, que j’ai pris une mauvaise décision, malgré que je sois rentré un peu malade.
Donc, je me retrouve dans cette situation sans le vouloir, car aujourd’hui je n’ai plus de moyens pour me prendre en charge. Après des années de gloire dans les années 90 en Guinée et aux États-Unis, je suis aujourd’hui devenu un sans-abri sans le vouloir. Honnêtement, jusqu’à présent, je n’arrive pas à comprendre comment je me suis retrouvé dans la situation que je vis actuellement.
Justement, vous parlez d’amour parental. Avez-vous des enfants ?
Bien sûr. Je suis père de trois enfants vivants. Il y a deux qui vivent en Guinée et le troisième qui vit aux États-Unis. La mère de ce dernier est une amérindienne qui continue à vivre au pays de l’Oncle Sam avec mon enfant.
Mme Rougui Barry qui vous (Amara et Prince) a emmenés aux États-Unis en 1996, est-elle au courant de votre situation de sans-abri ?
Je ne pense pas. Je sais qu’elle est au courant que je n’ai plus de moyens comme avant. Mais je ne pense pas qu’elle soit informée de ma situation de sans-abris. Avant qu’elle ne soit ministre, j’ai même été chez elle parce qu’elle représente une Maman pour nous. Un jour, j’ai été chez elle pour lui dire que je veux chanter. Elle n’a pas caché de me dire qu’elle veux bien m’aider, mais qu’elle souhaiterait d’abord que je recouvre totalement ma santé pour m’apporter un soutien comme elle sait le faire pour ses enfants que nous sommes. Elle a vraiment affiché sa volonté de m’aider à rebondir dans la musique. Mais finalement avec tout ce qui m’est arrivé, j’ai eu honte d’aller la voir pour la solliciter à nouveau.
Avez-vous des contacts avec le ministère de la Culture et du Patrimoine historique ou avec d’autres artistes qui, comme vous, ont fait la pluie et le beau dans le paysage musical guinéen ?
Parlant du ministère, je vous avoue que je n’ai pas de contact, parce que je n’y vais pas. Quant aux amis, il y en a certains avec qui je garde toujours de bons rapports. Notamment Yakhoumba Sékou qui est un ami d’enfance. Il se produit souvent à L’Échangeur chez Bouba Gaye. Parfois je chantais là-bas avec lui. Et grâce à mes prestations là-bas, j’ai croisé d’autres amis et connaissances comme Fodé Kouyaté et Sékouba Kandia Kouyaté qui est notre aîné, malgré qu’il ait fait ses débuts dans la musique au même moment que nous.
Oui ! Je suis toujours en contact avec Prince Diabaté, bien qu’il soit aux États-Unis, et moi ici en Guinée. Chaque fois qu’il vient à Conakry, il se déplace pour venir me voir dans notre maison de fortune (une baraque, NDLR) et saluer ma mère. Chaque fois qu’il y vient, avant de quitter, il nous donne de l’argent qu’il peut. J’avoue qu’il fait ça à chaque visite en Guinée.
Malgré votre situation, continuez-vous à faire toujours de la musique ?
Bien sûr que oui ! Comme je vous l’ai dit, je continue toujours à faire de la musique. A part L’Échangeur, je venais chanter avec Felan Kunty au restaurant Le Loft à la Camayenne. Mais cela fait plus d’un an que je ne chante plus, faute de moyens.
Je rappelle que quand je suis retourné au pays, Fodé Kouyaté a promis devant des témoins de me produire. Il m’a dit : ‘’Amara, je vais te produire’’. Tous ceux qui étaient présents ont apprécié cette promesse de Fodé Kouyaté qui m’a même donné la latitude de choisir mon arrangeur.
Comme promis, il m’a fait entrer au studio pour me produire avec un arrangement de mon ami Yakhoumba Sékou qui me connait musicalement. Une fois au studio, j’ai fait dix (10) titres grâce à un soutien de Fodé Kouyaté et d’autres personnes de bonne volonté.
L’album est produit depuis plus de 5 ans, mais la sortie piétine toujours. Je profite de votre tribune de lancer un appel à toutes les personnes de bonne volonté de m’aider à sortir cet album qui se trouve avec Fodé Kouyaté.
Après des moments de gloire des années 90, comment vivez-vous aujourd’hui votre vie ?
Aujourd’hui, je vis grâce à ma mère, mes fans et des personnes de bonne volonté comme vous. Vous me permettez de joindre les deux bouts. Quand je chantais à L’Echangeur et au Loft, je gagnais un peu d’argent. Maintenant, comme je n’y vais plus, je vis dans la galère qui m’éloigne de tout le monde.
A part la musique, exercez-vous un autre métier ?
Pas du tout. Moi, je ne connais que la musique. Aux Etats-Unis, mon tuteur Noah m’avait demandé d’essayer d’exercer un métier avec le gardiennage dans une société de sécurité pour avoir un peu d’argent afin d’entrer au studio. Je l’ai fait. Mais, franchement, je n’ai pas pu tenir parce que je ne connais que la musique. Quand j’ai été recruté comme gardien dans cette société, j’ai même remis à mon patron un CD pour lui dire que je suis un artiste professionnel.
Êtes-vous toujours en contact avec Noah qui a été votre tuteur à Los Angeles, aux Etats-Unis ?
Non, pas du tout ! La manière dont j’ai quitté Los Angeles, je n’ai pas pu avoir son contact pour pouvoir garder les relations avec lui.
Je lance un appel aux autorités, à tous mes fans, aux amis artistes et aux personnes de bonne volonté de m’aider à continuer de faire la musique que j’ai aimée depuis le bas âge. Car, je ne sais pas faire autre chose que la musique. Donc, je demande à tout le monde de m’aider à sortir sur le marché du disque mon album de dix (10) titres dont l’enregistrement est terminé, grâce au soutien de Fodé Kouyaté et de mon ami Yakhoumba Sékou. Je lance aussi un appel aux producteurs afin de s’intéresser à cet album dont la sortie pourrait m’aider de jouir pleinement de la vie.
Merci Amara.
C’est moi qui vous remercie pour tout ce que vous faites pour moi, car j’ai vraiment envie de retrouver les meilleures conditions de vie que je souhaite.
Entretien réalisé par Boua Kouyaté
Tel: 669 85 20 20